MARTHE ET MARIE


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Message par Fée Violine Sam 1 Déc 2007 - 15:12

"Pages feuilletées", c'est le nom de l'émission que je faisais chaque semaine sur Radio Eaux Vives Lozère (RCF) il y a quelques années. C'est aussi le nom de mon site perso, sur lequel j'ai mis une partie des textes de ces émissions.

Je vais les mettre ici aussi, dans la partie "littérature", même si c'est plutôt de la spiritualité, enfin c'est un peu des deux, plus ou moins selon les livres.
Voici une biographie de ste Thérèse de l'Enfant Jésus :


La petite princesse de Dieu, de Catherine Rihoit, Plon, 1992, 340 pages

Catherine Rihoit est une jeune romancière ordinaire, qui après avoir publié une douzaine d’ouvrages sur des sujets quelconques, a un jour découvert l’histoire de sainte Thérèse de Lisieux. Captivée par cette personnalité exceptionnelle, elle l’a étudiée à fond (une abondante bibliographie en témoigne : 34 ouvrages de référence).
Puis elle a rédigé une « autobiographie » de Thérèse : un récit à la première personne des origines de sa famille, de son enfance et de sa jeunesse, jusqu’à sa profession religieuse à l’âge de 17 ans et demi.

Le père de Thérèse, Louis Martin, est né en 1823. Il fut le seul survivant de 5 enfants. Son père était capitaine, un homme imposant et pieux. Sa mère, une sainte femme, travailleuse. Louis est un enfant timide qui aime la poésie. Il apprend le métier d’horloger, veut entrer au monastère du Grand Saint-Bernard, en Suisse, mais on le refuse car il ne sait pas le latin. Il s’installe comme horloger à Alençon, passant son temps libre à l’église et à la pêche. Il devient un célibataire endurci.

Pendant ce temps, Azélie Guérin, née en 1831, est une petite fille malheureuse, élevée par des parents durs et austères. Son seul moment de bonheur, ce sont les deux années passées au pensionnat. Heureusement, l’affection de sa sœur et de son petit frère adoucissent cette triste ambiance. Zélie décide de devenir une sainte. Elle veut devenir Petite sœur des pauvres : on la refuse, elle aussi. Elle doit gagner sa vie : elle devient dentellière et même chef d’entreprise, des ouvrières travaillent pour elle, on lui passe des commandes de Paris. Le point d’Alençon est une dentelle renommée, très chère, nécessitant une habileté et une patience incroyables.

Un jour, Zélie croise sur un pont un beau jeune homme mélancolique. Elle comprend qu’il lui est destiné. Le mariage a lieu peu après. Elle a 27 ans et lui 35. Le couple aura 9 enfants : Marie (née en 1860), Pauline (née en 1861), Léonie (née en 1863), Hélène (née en 1864 et morte à 5 ans et demi, une magnifique petite fille), puis un garçon, Joseph, en 1866 (mort quelques mois après), ensuite Jean-Baptiste en 1867 (mort aussi à quelques mois), Céline en 1869, une première Thérèse en 1870 (morte de faim à 3 mois. Les nourrices n’étaient pas toujours sérieuses, et Zélie était trop fatiguée pour nourrir sa fille elle-même), enfin en 1873 une seconde Thérèse, celle que nous connaissons.

Marie et Pauline, les deux aînées, étaient nommées par leur père « le diamant » et « la perle fine ».
« Les rôles étaient déjà distribués : Marie était forte mais timide, Pauline intelligente et drôle, Léonie faible de corps et d’esprit, mais patiente et courageuse. Hélène était la beauté ».
Vers 1864, Zélie commence à avoir un cancer du sein qui finira par l’emporter en 1877. La mort de ses petits et de ses parents l’accable, le travail l’épuise, son éducation lui fait croire en un Dieu sadique qui aime la souffrance de ses créatures :
« Sa maternité se confondait avec sa rage de souffrir ».

En 1870 les Martin vendent l’horlogerie-bijouterie, puis Zélie aussi arrête de travailler : ils auront ainsi plus de temps pour s’occuper de leurs enfants. A la naissance de Thérèse, Zélie a 41 ans. Elle écrit :
« J’aime les enfants à la folie, j’étais née pour en avoir, mais il faudra bientôt que cela finisse ».

Thérèse sera en effet la petite dernière de la famille. Sa mère dut la mettre en nourrice à la campagne, comme les autres, car son lait apparemment empoisonnait ses enfants. Chez sa nourrice, Rose, une personne de confiance, elle apprendra à aimer la nature et la simplicité. Au sevrage à 18 mois, elle revient chez ses parents. C’est une enfant blonde aux yeux bleus, jolie, pleine de vie, intelligente, affectueuse, volontaire, passionnée, joyeuse.
Elle a 4 ans et demi quand sa mère meurt de cancer, d’amertume et d’épuisement, regrettant encore de ne pas avoir pu entrer au couvent.
Une période très dure commence pour Thérèse : de 4 ans et demi à 14 ans elle traverse un « hiver de la vie ». Elle se renferme, devient très timide, tombe souvent malade.
La famille Martin déménage à Lisieux, pour se rapprocher de l’oncle Isidore Guérin, pharmacien, dont la femme Céline s’occupera beaucoup des jeunes orphelines. La nouvelle maison, « Les Buissonnets », est dans un quartier tranquille, avec un grand jardin. Le père fait tout ce qu’il peut pour rendre la vie agréable à ses filles.
« Le pauvre petit père n’avait qu’un défaut, il était faible. Maman le savait, elle en avait un peu souffert et bien profité (…). La mort de maman l’avait physiquement vieilli. Sa barbe était maintenant blanche. Nous l’appelions « le Patriarche ». mais il était pour moi seule « mon roi chéri ». Et j’étais « sa petite reine », « sa princesse des neiges », « l’orpheline de la Bérézina ». Maintenant qu’il tentait d’avoir pour nous des attentions maternelles, la tendresse et la douceur de sa nature se laissaient libre cours. Il nous aimait beaucoup et peut-être trop. J’étais si avide d’aimer et d’être aimée… »

L’une après l’autre, les filles Martin vont en pension chez des religieuses. Marie sert de mère à la petite Céline, et Pauline à la petite Thérèse. A 8 ans et demi, Thérèse aussi va à l’école, comme demi-pensionnaire. Auparavant, c’étaient ses sœurs qui lui faisaient l’école. Elle aurait préféré rester en sécurité à la maison, mais c’est une famille bourgeoise qui veut que ses enfants réussissent dans la société.
En fait, Pauline et Marie entrent au Carmel. Thérèse décide, dès l’enfance, d’en faire autant.
A 10 ans elle souffre de graves troubles nerveux, avec délires et hallucinations, pendant quelques mois. C’est là qu’a lieu le célèbre épisode de la Vierge au sourire : une statue de Marie sourit à la petite malade, qui est aussitôt guérie.
A 11 ans elle fait sa première communion. Au cours des trois jours de retraite, les religieuses sont obligées de la coiffer comme un bébé car elle ne sait pas le faire elle-même. Du côté de la vie spirituelle, en revanche, elle était d’une maturité exceptionnelle, pleine d’amour pour Dieu, faisant avec joie toutes sortes de sacrifices.
A 13 ans elle aménage une pièce à sa guise, avec des oiseaux, des jardinières de fleurs, un oratoire, un bureau, elle en fait un lieu qui lui ressemble.
Léonie entre chez les Clarisses, puis revient à la maison et entrera ensuite à la Visitation.

Au Noël de ses 14 ans, Thérèse sort subitement de l’enfance, elle se rend compte qu’elle a le droit et même le devoir de grandir, et elle se remet à vivre, alors que quelque chose en elle était resté bloqué à 4 ans et demi, à la mort de sa mère. Elle annonce à son père sa décision d’entrer au Carmel le plus vite possible. Le père, « un religieux égaré dans le monde », accepte et trouve même que Dieu lui fait beaucoup d’honneur en lui demandant tous ses enfants. Mais les mauvaises langues de Lisieux trouvent cette famille bien étrange : la France de 1887 se déchristianise, le mysticisme n’est pas à la mode mais il a toujours été un moyen d’expression privilégié pour les femmes, qui n’en avaient pas beaucoup au 19ème siècle.
Zélie Martin avait été une femme moderne, active,
« chef d’entreprise, mais cela ne l’avait pas rendue heureuse, elle n’avait pu profiter de son succès. Je l’avais vue déchirée par les regrets autant que par le cancer ».
Thérèse n’a aucune envie de suivre son exemple. Mais le supérieur du Carmel et l’évêque de Bayeux ne veulent pas la laisser entrer au couvent à 15 ans. Elle décide d’aller demander au pape. Le voyage à Rome l’intéresse beaucoup, mais le pape ne l’autorise pas non plus.

Finalement elle pourra entrer au Carmel à 15 ans et 3 mois : elle n’aura pas trop attendu.
L’amour humain ne l’intéresse pas, seul Dieu peut combler son besoin d’amour absolu.
« La mort de ma mère avait frappé de terreur tout amour terrestre. J’étais marquée d’un deuil infini ».
Quant à son père, elle l’adore tellement qu’il lui serait impossible de trouver un autre homme qui lui plaise autant !

Enfin la voilà au Carmel, dans le désert tant convoité. Elle ne se fait pas d’illusions sur la vie religieuse mais
« j’étais dans un endroit où l’on devait faciliter ma quête au lieu de l’entraver, comme c’était le cas à l’extérieur. Alors, tout me semblait beau ».
« Sœur Fébronie m’expliqua que si j’avais si peu à dire, c’était à cause de la simplicité de mon âme. Ce trait, ajouta-t-elle, indique l’approche du divin. Plus j’approcherais de Dieu, plus je serais simple. Jusque-là on me l’avait reproché, on me trouvait même parfois simplette. J’en avais souffert. Maintenant je voyais que cela me conduisait vers Dieu. Qu’on m’oublie, que je souffre, que je meure ! Qu’on ne voie plus mon visage ! Que je ne sois plus rien, pour être prise par Celui qui est Tout ! »


Louis Martin tombe malade. Il vivra encore quelques années avec diverses infirmités physiques et mentales. C’est une grande épreuve pour Thérèse et ses sœurs. Après sa mort, Céline est entrée aussi au Carmel.
Le récit s’arrête le 24 septembre 1890, à l’engagement définitif de Thérèse, qui est en quelque sorte son mariage avec Dieu, de même que les romans se terminent souvent au mariage des héros.

L’auteur a voulu montrer l’histoire humaine de Thérèse, l’histoire de son désir.
« Comment parler d’elle encore aujourd’hui ? A côté d’un langage ecclésiastique qui en fait une image pieuse, d’un langage psychiatrique qui en fait une névrosée, et du langage mystique qui nous est aujourd’hui difficilement pénétrable, j’ai choisi de parler d’elle comme elle m’a parlé. C’est-à-dire très simplement ».
Catherine Rihoit dit aussi que de nos jours on soignerait la tuberculose de Thérèse,
« on guérirait son corps et son âme dépérirait »
car de nos jours on ne se préoccupe guère de l’âme.

L’avant-propos, où C. Rihoit explique sa vision de Thérèse, est tout à fait intéressant, riche et profond.
Puis il y a le récit, cette autobiographie fictive qui est un mélange de deux choses :
- une paraphrase des écrits de Thérèse, en beaucoup moins bien, car C. Rihoit délaye pas mal, ce qui enlève de la force, de la fraîcheur et de la profondeur ;
- et des commentaires plus ou moins psychanalytiques en langage moderne, intéressants bien que parfois tirés par les cheveux.

L’auteur a ajouté aussi un grand nombre de détails, quelquefois ignorés de Thérèse elle-même, tirés de documents d’époque, lettres de Zélie ou autres, qui contribuent à éclairer encore le portrait de notre héroïne.
Les commentaires psychanalytiques sont un peu lourds. Catherine Rihoit insiste beaucoup sur les raisons qui ont pu pousser Thérèse dans cette voie : la vocation religieuse contrariée de ses parents, la mort prématurée de sa mère qui lui rend impossible la confiance dans un engagement humain, son père modèle masculin idéal et inimitable, etc.

Mais beaucoup de petites filles ont eu des mères névrosées ou mortes et ne sont pas devenues sainte Thérèse pour autant. Même analysée en détail, scrutée de près, Thérèse reste une étonnante merveille.


Dernière édition par le Sam 1 Déc 2007 - 19:58, édité 1 fois
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Message par Fée Violine Sam 1 Déc 2007 - 15:24

Deux romans autobiographiques d'Hervé Guibert :


Hervé Guibert,

A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie

Le protocole compassionnel


(Gallimard 1990 et 1991)

Il était beau, intelligent et sensible, jeune, riche et célèbre. Il écrivait merveilleusement. Il avait un charme incroyable. Il est mort du sida le 27 décembre 1991 à l’âge de 36 ans.
Hervé Guibert était journaliste, photographe et homosexuel.
Dans sa jeunesse, il a publié une dizaine d’œuvres plutôt morbides, sinistres, parfois pornographiques, « une œuvre barbare et délicate » selon ses propres termes.
Il a écrit aussi le scénario d’un film de Patrice Chéreau, L’homme blessé, un film très beau, très romantique et très noir.
Hervé Guibert a toujours eu un goût maladif pour la mort. Dans les débuts du sida il déclare : « Je baiserai les mains de celui qui m’apprendra ma condamnation ».
En réalité, quand il apprend, fin 1988, qu’il est séropositif, il est terrassé par cette nouvelle.
Il raconte les débuts de sa maladie dans le livre qui l’a rendu célèbre, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, et pour lequel il est passé à Apostrophes en 1990.
Il raconte la suite dans un deuxième livre, Le protocole compassionnel, paru en 1991.
Ces deux livres formant un ensemble, je vais vous les présenter tous les deux.
Il en a écrit un troisième, L’homme au chapeau rouge, qui est moins intéressant (il commençait à en avoir assez du sida, et il parle d’autre chose).
Les derniers mois de sa vie, il a encore écrit son journal d’hôpital, Cytomégalovirus, paru après sa mort.
Mais revenons aux deux livres qui nous intéressent aujourd’hui.

L’ami qui ne lui a pas sauvé la vie, c’est Bill, un Américain qui lui promet un vaccin anti-sida et bien sûr ne tiendra pas parole. Hervé Guibert pense que Bill n’est pas sincère mais qu’il cherche surtout à avoir un pouvoir sur ses pauvres amis malades à qui il donne des illusions. Mais Hervé Guibert est un écrivain avant tout :
« Avant de voir le salaud dans Bill, j’y vois un personnage en or massif ».
« Bill ne sera jamais un héros. Le héros est celui qui assiste l’agonisant ».

Autres personnages du livre : Jules, Berthe et leurs deux enfants, qui forment avec le narrateur le « club des cinq ». C’est une drôle de famille. Jules entretient avec le narrateur une liaison amoureuse depuis des années.
« Berthe depuis longtemps déjà était la personne que j’admirais le plus au monde ».
« Il y a un stade du malheur, même si l’on est athée, où on ne peut plus que prier, ou se dissoudre entièrement. Je ne crois pas en Dieu mais je prie pour les enfants, pour qu’ils restent en vie longtemps après moi, et je mendie des prières à ma grand-tante Louise qui va tous les soirs à la messe ».

Dans ce livre on voit passer aussi, sous le nom de Marine, une actrice connue, et sous le nom de Muzil un célèbre philosophe mort du sida (sa mort est racontée assez longuement). Tous les noms ont bien sûr été changés.
Hervé Guibert commence à prendre de l’AZT. Il doit aller souvent à l’hôpital faire des prises de sang pour voir où en est son taux d’immunités, qui baisse régulièrement. A l’hôpital il observe les autres malades et les décrit avec compassion :
« Ils ne se parlent pas, ils patientent côte à côte sur leur banc, soudés dans le malheur, ils ont soudain un élan de tendresse extraordinaire, ils se prennent la main, le fils s’abandonne sur l’épaule de sa mère. Un cadavre vivant, qui n’a aucun parent pour l’accompagner, qui ne vit plus que d’allées et venues entre l’hospitalisation et un improbable domicile, avec une grosse valise qu’il ne peut plus porter lui-même, alors on lui a flanqué une vieille vieille bonne sœur toute en noir, résignée, placide, le menton en galoche, un sourire immuable sur la bouche aspirée par l’absence de dentier, elle mâchonne en lisant un roman-photo. Ce sont les mondes les plus opposés qui soient, mais ils se comprennent, et, dans cette situation, on pourrait dire qu’ils s’aiment ».
La maladie change son regard sur les autres et sur la vie. Il fait des découvertes :
« Je découvrais quelque chose de suave et d’ébloui dans son atrocité, c’était certes une maladie inexorable, mais elle n’était pas foudroyante, c’était une maladie à paliers, un très long escalier qui menait assurément à la mort mais dont chaque marche représentait un apprentissage sans pareil, c’était une maladie qui donnait le temps de mourir, et qui donnait à la mort le temps de vivre, le temps de découvrir le temps et de découvrir enfin la vie ».
Découvrir la vie, ça paraît paradoxal dans ces conditions. Vous pourriez penser que quelqu’un de sinistre qui attrape le sida, ça donnerait un livre épouvantable. Eh bien pas du tout ! C’est comme en maths : (-) + (-) = (+) !
Plus Hervé Guibert approche de la mort, plus il aime la vie. Déjà un peu dans le premier livre, mais bien plus dans le second qui est encore beaucoup plus beau et émouvant que le premier.
L’AZT l’affaiblit énormément, il n’a plus que 1500 globules blancs, au point qu’il finit par cesser d’en prendre. Il se sent à bout de forces. Puis un nouveau médicament, le DDI, fait son apparition. Hervé Guibert n’arrive pas à en obtenir car il y en a encore très peu et on ne sait pas l’utiliser. Son ami Jules finit par récupérer des doses de quelqu’un qui est mort avant d’avoir tout utilisé. Hervé Guibert va reprendre vie assez vite grâce au DDI du danseur mort. Il recommence à écrire, et ce nouveau livre s’ouvre sur une somptueuse phrase de trois pages.

Le « protocole compassionnel » consiste à donner ce médicament aux malades qu’on ne peut sauver, simplement pour les soulager. La compassion est présente aussi tout au long du livre. Hervé Guibert devient de plus en plus humain. Son premier livre a eu beaucoup de succès, beaucoup de lecteurs (et de lectrices) lui ont écrit leur sympathie, et Le protocole compassionnel est dédié « A toutes celles et à tous ceux qui m’ont écrit pour A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Chacune de vos lettres m’a bouleversé ».
Grâce au DDI et au Prozac (un antidépresseur), il va mieux, il récupère des gestes qu’il avait perdus et il a moins l’impression d’avoir 95 ans comme sa grand-tante Suzanne. Il décrit minutieusement les petites choses de la vie, les examens médicaux, les gens qu’il rencontre, ses voyages, ses pensées, divers petits incidents.
Voici un examen médical :
« La première fibroscopie avait été un vrai cauchemar, l’abattage du cochon à la campagne. Hôpital Rothschild, service de gastro-entérologie du professeur Bihiou, salles de torture du rez-de-chaussée ».
Suit la description abominable du « commando des égorgeurs de cochons » et du traitement que subit le pauvre malade traumatisé. Il s’agit d’enfiler un tuyau dans l’estomac. Le lavage alvéolaire, par contre, examen barbare en lui-même, devient presque sympathique grâce à une jeune femme médecin pleine de délicatesse (il s’agit d’enfiler un tuyau dans les poumons, d’y envoyer de l’eau aussitôt réaspirée, pour chercher la présence d’un microbe). La jolie jeune femme est décrite comme une princesse transformée en crapaud, à cause de sa blouse verte, de son bonnet et de son masque. La description est charmante.
« Le crapaud mettait son œil globuleux au bout du tuyau et inspectait mes poumons. « Tout roses ! » me dit ensuite la fée ressuscitée ».
L’examen est pénible mais le contact humain est chaleureux.
La dignité d’Hervé Guibert est admirable. Il va toujours seul à ses examens médicaux, il vit seul, il ne veut embêter personne avec ses problèmes. Jusqu’à la fin il gardera cette dignité dont témoigne son journal d’hôpital. Il ne veut pas non plus que ses parents l’embêtent :
« Mon souci principal dans cette histoire est de mourir à l’abri du regard de mes parents ».
Apparition d’un nouveau personnage : Claudette Dumouchel, jeune médecin, apparemment insensible, dont il tombe presque amoureux. Jamais de sa vie il n’avait regardé une femme, mais il s’attache à elle parce qu’elle le soigne bien.
Il passe souvent ses vacances à l’île d’Elbe, dont il fait une description émerveillée. Dans un ancien monastère il mène une vie très simple, proche de la nature, qui lui fait du bien.
Il raconte très longuement un voyage à Casablanca pour voir un guérisseur qui lui dit en le voyant :
« De toute façon, même avant que vous soyez malade, vous n’étiez déjà que douleur, vous n’avez toujours été que douleur ».
Leur rencontre est très chaleureuse, c’est un homme plein de spiritualité et de bienveillance.
Vers la fin du livre on apprend qu’il a épousé, un an plus tôt, Berthe, la compagne de son ami Jules. C’est bien sûr un mariage blanc, juste pour que ses amis héritent de tous ses biens.
« Pouvait-on dire que c’était un mariage d’intérêt ? Non, bien sûr que c’était un mariage d’amour ».
Il n’y a pas de récit suivi, tout est pêle-mêle, le passé et le présent, le réel et les fantasmes, les joies et les peines, mais on s’y retrouve. C’est la vie à l’état pur.
« Oui, il me faut bien l’avouer et je crois que c’est le sort commun de tous les grands malades, même si c’est pitoyable et ridicule, après avoir tant rêvé à la mort, dorénavant j’ai horriblement envie de vivre ».
Il se reproche d’être égoïste car il achète des tableaux qui lui plaisent, au lieu de laisser l’argent à ses héritiers.
Il réalise pour la télévision un film dont il est l’auteur et le sujet. Il se filme lui-même, il filme ses deux grand-tantes, ses séances de massage, l’île d’Elbe, il filme son médecin :
« Je changeai l’angle de prise de vues et sans rien lui demander je filmai Claudette Dumouchel. Elle était belle. Je filmai ses longues mains blanches qui pianotaient sur le clavier de l’ordinateur. Je filmai son visage dans cette lumière sublime, j’étais heureux. L’œil au viseur, je voyais que l’image tremblotait imperceptiblement au rythme de ma respiration, des battements de mon cœur ».
Ce beau film intitulé La pudeur et l’impudeur est passé à la télévision en février 1992, peu après la mort d’Hervé Guibert.
Ses livres ont eu un succès foudroyant. Pourquoi ce succès ? D’abord le personnage est follement romantique, ce beau jeune homme blond qui meurt avec tant de grâce, en émettant un chant du cygne si sublime. Pas une phrase n’est ennuyeuse.
« J’aime le langage fluide, presque parlé. (…) J’aime que ça passe le plus directement possible entre ma pensée et la vôtre, que le style n’empêche pas la transfusion ».
Le succès s’explique aussi par la chaleur humaine qui rayonne de ces livres, par cet amour pour les petits et les faibles, par ce témoignage de courage et de dignité, par cet amour émerveillé de la vie.
« C’est quand j’écris que je suis le plus vivant. Les mots sont beaux, les mots sont justes, les mots sont victorieux, n’en déplaise à David qui a été scandalisé par le slogan publicitaire : La première victoire des mots sur le sida.
Mon livre a un peu changé ça, ce regard sur les malades du sida. En fait j’ai écrit une lettre qui a été directement téléfaxée dans le cœur de 100 000 personnes, c’est extraordinaire. Je suis en train de vous écrire une nouvelle lettre. Je vous écris ».
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Message par Fée Violine Sam 1 Déc 2007 - 15:31

un livre que j'ai adoré : le témoignage de Michel Delpech :

L’homme qui avait bâti sa maison sur le sable, de Michel Delpech, éd Robert Laffont, 1993, 184 pages

Aujourd’hui nous allons aborder un grave problème : la dépression, mais dans une perspective chrétienne, à propos du beau livre de Michel Delpech.
Tout le monde connaît Michel Delpech, devenu star de la chanson très jeune, à 20 ans. Le succès, la vie facile, font de lui un enfant gâté. Il cède à toutes les tentations, alcool, jolies filles, belles voitures, luxe effréné. Il n’a pas à gérer son argent, on le fait pour lui. On fait tout pour lui, il n’a aucun contact avec le réel, il n’est pas armé pour affronter les épreuves. Il ne supporte pas la solitude même 5 minutes, mais il est toujours entouré d’amis.
Un jour il découvre un livre d’Arnaud Desjardins, Les chemins de la sagesse. Lui qui se moquait de la religion et de la philosophie, le voilà conquis :
« Ce livre me fait basculer, et cette quête de vérité désormais ne me quittera plus ».
En 1973 il compose la célèbre chanson Les divorcés (500 000 disques vendus en 10 jours) avec un parolier qui devient un ami, qui lui prête des livres sur l’hindouisme, et qui lui fait rencontrer le swami Ritajananda, un maître spirituel hindou de grande qualité qui jouera un rôle important dans sa vie.
En 1975, il est au sommet de sa gloire. Les problèmes commencent : son mariage va mal, il cesse de chanter, il change son look de jeune homme sage, il se met à fumer du haschisch qui lui donne l’impression de mieux apprécier la musique. Il commence à être déstabilisé. Brutalement, sa femme, après 10 ans de vie commune et deux enfants, le quitte, d’une façon humiliante en s’affichant avec un autre. Pour lui le choc est terrible.
« Intérieurement, c’est la chute absolue ».
Il commence à réfléchir :
« Qui suis-je aux yeux d’autrui ? à mes propres yeux ? »
C’est plus un problème d’identité qu’un choc affectif. Et un soir de 1977, la maladie commence :
« Je reçois subitement à la tête l’impact d’une douleur très brève, d’une violence fulgurante. Elle transperce mon crâne et atteint mon cerveau. Qu’est-ce que j’ai ? Une parcelle de mon organisme est touchée, je le sens. C’est exactement comme si une flèche, décochée par une main invisible, avait pénétré et détruit un de mes centres nerveux. J’ai le sentiment immédiat que mon intégrité se disloque, qu’un corps étranger bouleverse d’un seul coup toute une ordonnance physiologique et me déconstruit, semblable à un grain de sable enrayant une machine. Soudain, en moi, c’est un véritable chaos ».
Je ne sais pas comment les médecins appellent ce phénomène. Mais nous qui sommes chrétiens, nous savons bien quelle est cette main invisible qui atteint Michel Delpech au plus profond de son être, qui pendant des années cherchera à le tuer, et que seul Jésus-Christ parviendra à vaincre. Michel Delpech aussi le sait, et fera tout au long du livre de nombreuses allusions à son « ignoble locataire ». Il sent que sa maladie est d’ordre spirituel. Il cherche donc de l’aide du côté de Dieu, c’est-à-dire d‘abord dans le Védanta que lui enseigne son maître indien. Mais ce chemin qui ne lui convient pas ne fait que l’enfoncer davantage.
« Cette spiritualité, mal intégrée, achève de me déstructurer».
Je signale au passage qu’Arnaud Desjardins, justement, insiste dans ses livres sur l’idée que cette spiritualité est faite pour les gens normaux et pas tellement pour nous autres Occidentaux névrosés. Le swami aurait dû tenir compte de cela, s’il était aussi génial que Michel Delpech le pense.
Bref, il va mal, il voit des fantômes, il entend des bruits anormaux, il est épuisé et incapable de se concentrer. Pour arriver à travailler il prend de la cocaïne qui n’arrange pas sa santé.
Il fait une cure de sommeil et une psychothérapie dans une clinique où il est très troublé de voir des aliénés qui ont l’air normaux : il se demande où il en est lui-même.
« La démence, comme le diable, peut revêtir toutes les apparences ».
Malgré les bons soins du médecin, il rentre chez lui aussi malade qu’avant. Il continue la drogue, l’alcool et la débauche, il est de plus en plus fragile et cherche désespérément à s’en sortir : voyage en Inde, voyante, sorciers africains, vacances, deuxième cure de sommeil, tout est inutile. Il apprend le nom de sa maladie : névrose d’angoisse. Il a d’effrayantes hallucinations, par exemple une nuit dans son lit il sent le diable qui lui saute dessus et le serre dans ses griffes comme un tigre, c’est absolument terrifiant. Il se sent complètement à sa merci.
Pourtant il a besoin d’énergie : son ex-femme, de plus en plus marginale, part vivre en Polynésie et il doit s’occuper des enfants.
Il prie beaucoup :
« Je combats sans cesse pour échapper à l’emprise de ce deuxième personnage qui habite en moi, de ce dictateur qui peut, à tout instant, décider de ma mort, au lieu et à l’heure qu’il aura choisis ».
Sa santé physique se dégrade encore. Il arrive tout de même à réussir son permis de conduire du premier coup. Mais sa carrière est au point mort. Il veille pourtant à apparaître de temps en temps à la télévision mais sa dépression l’empêche de séduire le public et les ventes de disques se raréfient. Il est hanté par le suicide, cherche encore du secours dans la psychanalyse, l’exorcisme, l’astrologie, vainement.
Une nuit, au cours d’une tournée en Bretagne, il se croit vaincu et va se résigner au suicide. Mais il y échappe encore car ses amis veillent sur lui.
Après une troisième cure de sommeil, il a assez de lucidité pour refuser les traitements barbares que le médecin lui propose (lobotomie, électrochocs).
Infatigable dans sa quête, malgré son épuisement, il essaie encore le spiritisme, le magnétisme, le caisson d’isolation sensorielle, méthode de relaxation dans l’eau, qui lui fait beaucoup de bien.
A partir de maintenant, il arrête de descendre et il ne cessera de remonter (il était temps, car le livre devenait angoissant !).
Il revient à l’église catholique :
« Lorsque plus rien sur la terre ne peut vous retenir et qu’en désespoir de cause on se tourne vers lui, le problème de la foi ne se pose plus : on l’a. Quand il n’y a plus que Dieu, il se montre ».
Il passe des journées entières à se reposer et à dormir dans les églises, le seul lieu où il se sent en sécurité. Il va mieux. Il devient ami avec un moine de l’abbaye de Saint-Wandrille, où il fait des retraites. Il va prier à la chapelle de la rue du Bac.
Il décide de tout quitter et de recommencer une autre vie aux Etats-Unis ou à Tahiti avec ses enfants. Alors que son départ est imminent, en 1983, il rencontre une jeune femme, Geneviève, dont il tombe amoureux. Sa vie prend enfin un sens. Il renonce à son départ, déménage, s’installe avec Geneviève et rompt avec tout son passé, avec ses amis, ses anciennes compagnes, ses partenaires professionnels, il détruit ses livres sur l’hindouisme, les vieilles photos, tout ce qui lui rappelle le passé. Il lit la Bible. Sa santé s’améliore.
Voilà que son ex-femme se suicide. Il peut donc épouser Geneviève à l’église (ce sera en 1985 dans une église orthodoxe copte). Il ressent Geneviève comme un don du ciel, comme une lumière dans sa nuit.
« Geneviève cherche par tous les moyens à sa disposition à me redonner la lumière et non uniquement à plaire ».
« C’est grâce à elle que je peux reprendre possession de moi-même ».

Avec beaucoup de patience et de dévouement, elle s’occupe de lui, lui redonne goût au travail, elle le pousse à réagir, à reprendre une vie structurée. C’est long et difficile : il y a tant de dégâts à réparer ! Ensemble ils vont à Lourdes, où son état s’améliore encore. Puis ils vont à Jérusalem, et l’histoire s’arrête là : sur le tombeau du Christ, il est guéri instantanément, définitivement. Le soleil a triomphé des ténèbres, même si la reconstruction nerveuse prendra encore du temps.
Un fils, Emmanuel, leur naîtra.
Michel Delpech cesse de fréquenter régulièrement le swami, tout en lui gardant une grande estime.
Peu à peu il reconquiert son public, en 1985 il passe à l’Olympia.
Bilan de son aventure :
« J’ai l’impression qu’on ne peut pas avoir été plus indigne que moi. Je me suis répandu sur ma propre souffrance, j’ai été d’une faiblesse maladive, je me suis jeté dans les bras de n’importe qui, j’ai donné ma conscience à diriger sans savoir ni pourquoi ni comment. J’ai eu toutes les lâchetés, la sensation de traverser les zones les plus obscures de la conscience humaine, d’avoir été jusqu’au bout de l’infamie. Toutes ces expériences par lesquelles je suis passé m’ont beaucoup enrichi ».
Et voici les dernières phrases du livre :
« L’épreuve est terminée. La douleur et la souffrance aussi. A plus de 40 ans, j’apprends enfin la vie ».

Michel Delpech a écrit ce livre pour justifier ses 10 ans d’absence : ainsi maintenant tout le monde sait à quoi s’en tenir. Sur ces 10 ans, sa maladie a duré environ 7 ans.
Le titre L‘homme qui avait bâti sa maison sur le sable est tiré d’une parabole de l’Evangile, où cette expression désigne celui qui ne fonde pas sa vie sur Dieu, sur du solide, celui qui est donc sujet aux troubles et à la destruction.
Michel Delpech a maintenant bâti sa maison sur le roc, et le mal ne peut plus l’atteindre.
En décembre 1993, peu après la parution du livre, Michel Delpech a témoigné à l’émission "Bas les masques" intitulée "Dieu a transformé ma vie". Il a évoqué son histoire avec pudeur et simplicité, avec un visage rayonnant d’humilité et de bonté. Toutes ces qualités se retrouvent dans son livre, qui est facile à lire, émouvant, sincère.
J’aime aussi sa tolérance : il n’accuse personne de ses maux, sauf lui-même et le mystérieux ennemi de l’humanité. Il ne dit du mal d’aucune des personnes à qui il a demandé aide, même les plus bizarres. Bien qu’il soit maintenant chrétien, il garde entières son admiration et sa tendresse pour son ami hindou. Il ne critique pas non plus la médecine qui lui a été utile même si elle ne l’a pas guéri. Il reconnaît toute la gentillesse dont ses amis l’ont entouré. Sa reconnaissance va surtout à sa femme, dont l’amour lui a sauvé la vie. Il chante ses louanges d’une façon magnifique.
Vraiment il n’y a plus en lui que des sentiments paisibles et bons. Visiblement, l’esprit qui l’habite maintenant est celui de Jésus.
Cet homme si humain et si courageux inspire la sympathie et le respect, et quand on a lu son livre, on lui souhaite de continuer sur ce chemin d’équilibre et de bonheur.
Ce livre peut intéresser tous ceux qui sont concernés par le douloureux problème de la dépression, maladie si difficile à soigner dans ses formes graves, car Michel Delpech nous le montre bien, les causes en sont à la fois physiques, psychologiques et spirituelles. Il nous indique une espérance.
Ce livre peut aussi plaire simplement à ceux qui sont touchés par les témoignages authentiques de quête de vérité et de vie.
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Message par Fée Violine Sam 1 Déc 2007 - 15:45

Correspondance de Jacques Rivière et Paul Claudel, 1907-1914, Plon, 1926


En 1907, Paul Claudel, diplomate en Chine et âgé de 39 ans, reçut une lettre qui commençait ainsi :
"Depuis plus d'un an je vis par vous et en vous ; mon soutien, ma foi, ma perpétuelle préoccupation, c'est vous qui l'êtes. Je vous ai adoré comme Cébès Simon ; je me suis prosterné devant vous, j'ai cherché votre âme de mes mains suppliantes. Mais j'attends de vous une autre certitude, une autre réponse que celle donnée par Tête d'Or. C'est pourquoi, après un long recueillement, je me décide enfin à vous écrire. La réponse, mon jeune aîné, ô vous en qui je me suis confié, la certitude, la réponse, je la veux. Je veux que vous me brutalisiez, que vous me jetiez à terre, que vous m'injuriiez ; la réponse.
Me voici : Vingt ans, comme tout le monde, sans bonheur ni malheur spécial ; mais une inquiétude, une inquiétude terrible, qui veille en moi dès ma vie, et me soulève sans cesse, et sans cesse m'empêche de me satisfaire ; une inquiétude qui me soulève en transports de volupté, en transports de désespoir, une inquiétude infatigable. J'ai cherché dans les livres, certains m'ont ravi, je les ai aimés comme des frères plus âgés et qui savaient mieux, je les ai crus".

Le jeune homme parle ensuite de l’influence de Barrès et d’André Gide, puis de sa lecture depuis un an de Tête d’Or et de Partage de midi, de Claudel lui-même.
"Un an ! Et je me demandais à la fin Qui vous donnait cette sérénité admirable, cette force et cette certitude, cette confiance, cette joie. Maintenant j'ai compris. Je sais que Dieu vous assiste et que vous vivez en Dieu. Mais alors ce cri, cette inquiétude, que vous aviez endormis en moi, se sont réveillés, révoltés. Encore j'ai senti mon angoisse m'assaillir. Et c'est pourquoi je me suis résolu de vous demander la paix".
Cette lettre était signée Jacques Rivière.
Ainsi commença une correspondance qui dura jusqu’en 1914, et une amitié qui ne fut interrompue que par la mort de Jacques Rivière en 1925.
Isabelle Rivière publia en 1926, donc peu après la mort de son mari, le livre qui nous intéresse aujourd’hui.
Il est banal qu’un adolescent tourmenté demande conseil à un écrivain qu’il admire. Dans le genre, je vous recommande le magnifique livre de RM Rilke, Lettres à un jeune poète.
Ce qui est moins banal, c’est quand les deux protagonistes sont de niveau égal, et du plus haut, pour l’intelligence, la noblesse d’âme, la droiture, la sincérité, l’exigence morale et intellectuelle, le talent littéraire. Ca devient une œuvre d’art. Ca devient aussi émouvant que par exemple dans l’Evangile le dialogue entre Jésus-Christ et Jean-Baptiste, le lecteur se sent presque indiscret.
Jacques Rivière était, en 1907, étudiant à Bordeaux et ami de l’auteur du Grand Meaulnes, Alain-Fournier, dont il épousera la sœur. Il avait eu une éducation chrétienne mais, écrira sa femme, « les tourments et les ardeurs de la jeunesse, le dégoût d’un christianisme bourgeois et confortable, l’orgueil d’une grande intelligence, étaient venus lui cacher l’image de Dieu ».
Il avait déjà publié dans des revues littéraires des articles sur Paul Claudel, qui était encore peu connu. Il lui écrit donc la longue « lettre déclamatoire et passionnée » (ce sont ses termes) dont je vous ai cité des passages, suivie d’une autre encore plus longue, où il se débat dans des sentiments contradictoires. Il demande à Claudel des réponses à son inquiétude métaphysique, et ensuite il dit :
« Vous ne détruirez pas le calme de mon angoisse ».
« Je n’ai pas d’espoir, et cette fois je dis cela avec lamentation et avec pleurs ».

Et ça se termine par :
« Mon frère, j’attends de vous ce que va être ma vie ».

Claudel, recevant ces deux lettres, ressent de la joie, du trouble et de la peur devant cette responsabilité d’une âme qui se confie à lui.
Il répond à Jacques Rivière :
« La confiance que vous avez en moi me touche et m’effraye un peu aussi ».
« Ne croyez point ceux qui vous diront que la jeunesse est faite pour s’amuser : la jeunesse n’est point faite pour le plaisir, elle est faite pour l’héroïsme ».

Il encourage vivement le jeune homme à revenir à la foi, mais J. Rivière résiste. Il se débat dans ses phrases et ses sentiments divers, il essaie de savoir ce qu’il veut, il ne sait pas où il en est. Il y a de la pose, de l’orgueil et de la sincérité. D’ailleurs il y a aussi pas mal de phrases dans les réponses de Paul Claudel qui est très sûr de lui.

Pendant plusieurs années le dialogue se poursuivra ainsi, Jacques Rivière résistant à la foi, Paul Claudel répondant patiemment à ses réticences, J. Rivière pendant des années craindra que P. Claudel finisse par se lasser et le laisse tomber s’il ne se convertit pas aussitôt. Il refuse de faire les choses à moitié et préfère ne pas être chrétien que de l’être mal. Il hait son dilettantisme, son indignité, sa complication, sa petitesse, il est lucide, jeune, grandiloquent, touchant, et très orgueilleux.
« Je me suis habitué à regarder ma vie, au lieu de la vivre ».
Paul Claudel lui donne des conseils pratiques : assister à la messe (« Plongez-vous dans cet immense bain de gloire, de certitude et de poésie »), il lui conseille d’entrer à la Conférence saint Vincent de Paul, pour ouvrir son cœur. Il lui conseille des livres.
Leur dialogue philosophique est de haut niveau : les réponses du maître sont à la hauteur des questions du disciple (et inversement). Ca vole très haut ! Mais ce n’est pas trop intellectuel car on ne peut pas sombrer dans l’abstraction lorsqu’on parle du Dieu incarné.
« Le chrétien est quelqu’un qui sait ce qu’il fait et où il va, au milieu de gens qui, pires que les bêtes brutes, ne savent plus la différence entre le bien et le mal, entre le oui et le non ».(Claudel)
L’orgueil de J. Rivière se débat :
« J’aime mieux souffrir que de consentir à une domination, cette domination ne dût-elle durer qu’un instant et me donner l’éternelle béatitude ».
Il avoue cela avec la douleur de penser que Claudel va se décourager et le laisser tomber. Il supplie :
« Ne m’abandonnez pas tout à fait ».
Il pense qu’il lui est impossible d’être chrétien car il compte sur ses propres forces et non sur Dieu. J.Rivière n’est pas quelqu’un qui se laisse aller, il ne pourra jamais vraiment s’abandonner à l’amour de Dieu.
Claudel ne s’émeut pas, remet les choses en place avec sérénité, le rassure, le secoue (« l’orgueil n’est pas une marque de force mais de faiblesse ») :
« Dans vos lettres il n’y a qu’une chose de grave et qui m’émeut et me trouble profondément : c’est que vous vous êtes senti appelé vers moi. C’est donc Dieu qui vous adressait à moi ».
« Ecrivez-moi non pas comme une dévote à son confesseur, pour étaler complaisamment vos petits travers, mais pour chercher de tout votre cœur les moyens de les guérir ».
« Il faut apprivoiser peu à peu votre inconscient ».
« Soyez patient ».


Jacques Rivière continue à publier des articles sur Claudel. Il part continuer ses études à Paris. Claudel apprécie ses articles, il est heureux d’être compris, aimé, expliqué au public.
« Votre analyse est merveilleuse d’intelligence ».
En 1908 Jacques Rivière se fiance à Isabelle Fournier et devient plus paisible.
« Je suis guéri de ma littérature ».
Peu après il écrit à Claudel :
« J’ai eu le frisson quelquefois en songeant à la masse de sottises, d’emphases, de nullités, que vous avez reçues de moi. Et je donnerais beaucoup pour que vous anéantissiez toutes mes lettres. Et pourtant que vous dirais-je d’autre maintenant ? Je ne suis ni plus près du christianisme, ni plus confiant dans la vie, je n’ai pas plus de droit qu’avant à me croire votre ami ».
Claudel répond :
« Je ne suis pas un bel esprit, je suis un homme simple et sérieux. Comme artiste je méprise les virtuoses et je ne comprends pas les plaisants ».
« L’art n’est qu’une pâle contrefaçon de la sainteté. Ses rayons sans chaleur ne font pousser qu’une végétation sans racines (…). Tous les grands écrivains du siècle qui vient de finir ne nous ont-ils pas assez ressassé le néant de la vie, l’illusion de toute joie, la seule certitude de l’enfer et du désespoir ? Qu’ils mangent donc ce pain de l’art et du rêve auquel ils trouvent tant de saveur. Quant à moi, je crois à un Dieu bon et à une vie qui est pour de bon et où il n’est pas indifférent de prendre un chemin ou l’autre ».

Claudel réagit avec vigueur contre le climat intellectuel déliquescent de l’époque 1900. Il écrira plus tard : « La littérature française meurt aujourd’hui de libertinage et de dilettantisme ».
Il écrit à Jacques Rivière :
« Si je vous malmène, c’est que je vous aime beaucoup, que j’ai beaucoup pensé à vous et que par suite je suis quelquefois dépité et impatient ».
Jacques Rivière, lui, écrit :
« Je pense toujours à vous avec une ferveur, un respect et une affection difficiles à dire ».

En 1909, Jacques Rivière et Isabelle Fournier se marient. Paul Claudel revient de Chine. Les deux amis vont enfin pouvoir se rencontrer.
Jacques Rivière échoue à l’agrégation de philosophie et n’a pas le courage de recommencer (« je ne suis pas un homme vigoureux comme vous »). Claudel lui conseille vivement d’entrer dans l’enseignement, mais il préfère devenir écrivain :
« Depuis longtemps j’ai décidé d’aimer le trouble, l’inquiétude et l’instabilité, puisque ce sont les seuls biens qui me soient dispensés ».
Claudel est nommé à Prague. J.Rivière lui écrit :
« Est-ce que vraiment vous croyez que d’autres que vous peuvent arriver à ce dépouillement parfait de toute faiblesse ? »
Claudel apprécie que les articles de J.Rivière le fassent mieux connaître :
« On parle de moi d’une manière toute différente et beaucoup plus intelligente ».
J.Rivière lui écrit :
« Jamais on n’a été plus monstrueusement poète que vous l’êtes ».
« Vous êtes de ceux qui ont toujours raison ».

Il considère Claudel comme un poète non pas français mais « grec et biblique » sans aucun précédent.
Claudel : « Je n’ai jamais considéré l’art comme un but en lui-même mais comme un moyen multiple et divers de comprendre en recréant ».
« Vous êtes ce lecteur idéal auquel pense involontairement tout auteur quand il écrit ».


En 1911, Jacques Rivière, poussé par Claudel, se présente à nouveau à l’agrégation. Il échoue encore. Une fille lui naît. Claudel est nommé à Francfort. J.Rivière est professeur de philosophie au collège Stanislas à Paris. La correspondance continue, davantage sur des sujets littéraires. La conversion de J.Rivière se fait lentement. Il va à la messe, il prie beaucoup.
En 1913, il se décide enfin à s’approcher des sacrements. Il se confesse et communie. Claudel s’en réjouit et lui parle de « l’inouïe, l’incomparable merveille que constitue pour nous l’amitié de Dieu ».

A partir de 1913 les lettres de Rivière ont été perdues, on n’a plus que celles de Claudel.
Pendant la guerre de 14, J.Rivière sera prisonnier pendant trois ans, ce qui n’arrangera pas sa santé fragile mais lui donnera le temps de réfléchir et d’écrire des livres, notamment A la trace de Dieu, paru en 1925 (« C‘est la réponse aux questions que pose cette Correspondance, c’est la certitude et la lumière après tant d’angoisses et de ténèbres », écrit Isabelle).
De 1919 à sa mort en 1925, il sera directeur de la NRF. Il rencontrera beaucoup de grands écrivains. On a de lui une correspondance avec Mauriac, avec Antonin Artaud, et surtout avec Alain-Fournier.
Isabelle Rivière écrit aussi des livres.
Leur fils sera moine, leur fille sera religieuse.
Il meurt à 39 ans, en 1925, en disant :
« Maintenant, je suis miraculeusement sauvé ! »

***

Cette Correspondance J.Rivière-P.Claudel me plaît par l’intérêt de ce dialogue éblouissant entre ces deux âmes si différentes.
J’aime aussi cette histoire d’amitié où chacun a besoin de l’autre, l’un apportant sa force et l’autre sa sensibilité.
J’aime aussi ce livre parce qu’il n’est pas à la mode. On n’y trouve rien de vulgaire, de facile, de superficiel, de laid ou d’inhumain. Mais qu’est-ce que c’est beau !
Mère Teresa a donné ce critère pour choisir ses lectures : on doit en sortir meilleur et plus heureux. C’est le cas avec ce livre, ainsi d’ailleurs qu’avec les autres livres que je vous conseille.
La Correspondance de Jacques Rivière et Paul Claudel a été rééditée en livre de poche.
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Message par Fée Violine Sam 1 Déc 2007 - 15:57

Elisabeth Badinter, L’un est l’autre. Des relations entre homme et femme, éd Odile Jacob, 1986


Le livre d’aujourd’hui n’a rien de religieux. C’est une vaste question humaine.
Qu’est-ce que c’est qu’un homme ? Qu’est-ce que c’est qu’une femme ?
La domination masculine est-elle naturelle ?
La répartition des tâches entre hommes et femmes est-elle naturelle ?
Quand et comment ces comportements ont-ils commencé ?
La spécificité de la femme est de donner la vie : quelle est la spécificité de l’homme ?

D’après les rares indices que nous possédons, il semble bien que dès les débuts de l’humanité, la division sexuelle du travail ait existé. C’est un faux débat entre les partisans du patriarcat et ceux du matriarcat, c’est-à-dire entre ceux qui pensent que les hommes préhistoriques avaient le pouvoir, et ceux qui pensent que c’étaient les femmes.
En réalité, hommes et femmes vivaient dans des clans séparés, ce qui leur permettait de bien s’entendre (la mixité finalement ça pose pas mal de problèmes). Ils étaient égaux, complémentaires et avaient un égal pouvoir économique, mais dans des domaines différents.
Les hommes avaient, comme de nos jours, le pouvoir politique et le prestige du chasseur. La chasse, travail difficile et dangereux, a eu un rôle civilisateur important en développant la solidarité, le courage, l’habileté et autres qualités.
Les femmes, de leur côté, régnaient sur le feu, sur la vie et la mort, avec un pouvoir mystique et cosmique.
A l’époque néolithique, c’est-à-dire il y a à peu près 6 000 ans, elles inventèrent l’agriculture. A force de cultiver leur jardin, elles ont découvert des graminées qui sont devenues les céréales.
Donc, un rôle aussi important pour les uns que pour les autres.
Les hommes adoraient des dieux animaux, les femmes des déesses-mères en rapport à la fois avec l’enfantement et avec l’agriculture.
On a pu déduire tout cela des peintures et sculptures qui sont restées de l’époque préhistorique.
Les femmes ont peut-être aussi inventé la poterie, pour conserver les céréales.
Plus tard, les hommes inventent l’élevage, qui leur donne moins de prestige que la chasse. Par contre les femmes ont plus de prestige depuis qu’elles sont agricultrices.
« L’espace de quelques millénaires, les valeurs de la vie l’emportent sur la fascination de la mort. La mère devient le personnage central des sociétés néolithiques ».
(Commentaire personnel : il suffit d’allumer sa télé pour voir que cette heureuse époque est révolue : les valeurs de la vie ne sont plus à la mode, sauf dans l’Eglise).
Les déesses-mères sont toutes-puissantes, et le seront jusqu’à l’avènement des monothéismes mâles. Dans la Bible, il arrive que Dieu soit décrit comme une mère mais c’est rare : il est plutôt décrit comme un père.
Les morts étaient enterrés comme des graines. La mort, l’agriculture, la fertilité, tout cela était solidaire.
Les femmes donnent la vie, protègent de la mort, soignent avec les plantes. Donc une civilisation harmonieuse, une période paisible, du quatrième millénaire avant JC, jusqu’à la fin du deuxième.
Profitons-en bien car ça ne va pas durer. Pourquoi ? Parce que les hommes sont gentils ! Ils se mettent à aider les femmes aux champs. Cultiver un champ avec une pioche, c’est fatigant. Les hommes ont donc commencé à faire les travaux les plus durs, et ainsi se sont approprié peu à peu les travaux agricoles. La dépossession des femmes a débuté ainsi.
Le couple date de cette époque. L’homme pour aider sa femme invente l’araire, ancêtre de la charrue. Il défriche, elle sème, ils récoltent. Après l’araire il invente la charrue, attelle des bœufs : peu à peu l’agriculture devient un domaine masculin.
Autre événement d’importance : grâce à l’élevage, les hommes découvrent le rôle du père dans la procréation. Le prestige des femmes diminue donc encore, puisque leur principale prérogative doit être partagée avec les hommes.
Tous ces changements ont été bien sûr très très progressifs.
Le couple, le mariage, le système patriarcal sont donc des inventions très récentes : environ 3 000 ans.
A la fin du néolithique les hommes ont fait encore une invention considérable : la guerre. Pourquoi ? Parce que grâce à l’agriculture et à l’élevage, les conditions de vie étaient devenues meilleures, on vivait plus longtemps, il y avait plus de monde, ils ont donc commencé à se marcher sur les pieds, à avoir des conflits d’intérêts.
« La guerre, toujours perçue comme l’activité masculine par excellence, est le complément symétrique de la maternité, qui donne à l’homme la spécificité dont il a tant besoin ».
Les déesses-mères sont remplacées par des couples divins, dans lesquels le dieu masculin prend de plus en plus d’importance.
En Grèce, l’égalité régnait encore à peu près entre hommes et femmes jusqu’à l’invention de la démocratie, il y a 2 500 ans.
Dans la société védique (en Inde) aussi, ainsi que chez les Celtes jusqu’à l’arrivée des Romains.
Ainsi, pendant 30 000 ans, les hommes et les femmes étaient égaux, mais depuis 2 500 ans on a eu des patriarcats plus ou moins absolus, basés sur un système idéologique où la femme représente le mal. Les hommes ont tous les pouvoirs, les femmes ne sont que des biens. Dieu est masculin, et les valeurs masculines dominent : le métal, le soleil, le héros.
« Occultée dans la Grèce classique, expropriée par l’islam, la déesse est totalement déchue chez les Juifs ».
Dans le christianisme, le culte de Marie est une révolution dans le milieu paternaliste, mais ce culte est surtout populaire. On précise bien toujours que Marie n’est pas une déesse. Le Christ a rendu aux femmes leur dignité, mais son message a été plus ou moins étouffé par le Dieu des patriarches.
Pour Aristote, qui est pourtant considéré comme un grand philosophe très intelligent, c’est l’homme qui engendre l’enfant et lui transmet l’âme humaine, la mère ne fait rien, et les filles ne sont que des garçons ratés, des monstres…
Dans le Coran, mille ans après, c’est à peu près pareil.
Les hommes par jalousie, par angoisse, confisquent à leur profit la puissance créatrice.
Au Moyen Age, la femme est un objet d’échange.
Dans toute l’époque historique, règne entre les sexes un état de guerre larvée.
« Plus les hommes ont peur des femmes, plus ils cherchent à les soumettre et plus ils redoutent qu’elles se vengent. Cercle vicieux dont on ne sortira peut-être qu’en mettant fin au système patriarcal ».
En effet l’identité sexuelle est plus difficile à acquérir pour l’enfant mâle.
La décadence du patriarcat commença quand les hommes se mirent à réclamer des droits – pour eux-mêmes, pas pour les femmes !- : au lieu du patriarcat on a donc eu la démocratie. La Révolution française abolit le droit divin du roi et du père, et Dieu symbole du père. Les Droits de l’Homme sont une nouvelle religion : mais les femmes sont-elles des Hommes ? Tout le monde sait que les femmes ont été les laissées pour compte de la Révolution.
En Europe, le combat des femmes pour conquérir des droits a été difficile. Elles ne sont plus des objets.
Après le nazisme, les valeurs viriles archaïques ont inspiré l’horreur, et le respect de l’autre est redevenu sacré, les valeurs féminines sont en hausse : non-violence, écologie… (encore que…je trouve que les valeurs de mort et de violence se défendent pas mal).
De nos jours, il y a un malaise des hommes. Les fils se rapprochent des mères, mais les mères s’approprient des domaines auparavant masculins, par exemple la concurrence, l’égoïsme…Il y a donc chez les fils aussi un malaise.
Avec le travail féminin, la pilule, l’avortement, les hommes n’ont plus de pouvoir sur les femmes (du moins en théorie et en résumant beaucoup).
Avec le divorce et la cohabitation, le mariage n’est plus sacré.
Il n’y a plus d’inégalité, plus de guerre des sexes, les hommes et les femmes se ressemblent, d’où le titre du livre : L’un est l’autre.
La seule différence c’est que ce sont toujours les femmes qui portent les enfants. Que reste-t-il en propre aux hommes ? On ne sait pas très bien.
Il y a plus de familiarité entre hommes et femmes, il y a moins de différences. Certains psychologues commencent à considérer la bisexualité comme pas forcément pathologique. Les frontières ne sont pas toujours nettes.
La mutation est vertigineuse. Dans toutes les sociétés humaines, le père avait toujours pourvu d’une façon ou d’une autre aux besoins des femmes et des enfants. De nos jours, pas toujours.
Il n’y a plus non plus d’activités interdites aux femmes, il y a des femmes qui font la guerre et des hommes qui maternent.
Les féministes cernent et valorisent les caractéristiques féminines : pensée féminine, écriture féminine… Mais la loi instaure l’égalité, la mixité dans tous les domaines (du moins en théorie)
Je disais que les féministes parlent d’écriture féminine. Mais d’autres féministes refusent cette notion au nom de l’égalité. Ainsi l’autre jour j’ai entendu à la radio un débat littéraire, où deux femmes et un homme parlaient d’un livre écrit par une femme, et l’homme s’est mis à dire très timidement qu’à son avis ce livre était très féminin. Le pauvre gars s’est fait engueuler ! Elles lui ont dit que c’était stupide, il n’a plus osé dire un mot. Les femmes sont maintenant des sujets qui ont la parole, mais ce n’est pas une raison pour oublier que les hommes aussi sont des personnes, après tout !

Je reviens au livre d’Elisabeth Badinter. En fait chacun de nous est potentiellement bisexué. Biologiquement hommes et femmes ont les mêmes hormones, mais en proportions différentes. Hommes et femmes sont des « jumeaux de sexe opposé ». D’ailleurs récemment à un week-end de pastorale familiale sur le couple, on nous a dit, en commentant la Genèse, qu’homme et femme ont été créés de même nature humaine, et qu’ils sont frère et sœur avant d’être mari et femme. Ainsi une fois de plus, la Bible et la science se rejoignent.
Mais pour pouvoir accepter sans problème mes caractéristiques masculines comme possibilité supplémentaire d’épanouissement, il faut déjà que je sois à l’aise dans mon identité de femme, que j’aie bien intégré ma féminité. Et inversement.
En fait, c’est bien plus difficile pour les hommes d’accepter leurs caractéristiques féminines, et pas seulement par mauvaise volonté. Je disais que l’identité sexuelle est plus difficile à acquérir pour l’enfant mâle. En effet la fille n’a qu’à imiter sa mère, tandis que le garçon doit réagir pour se détacher d’elle.
« La fille apprend à être, le garçon à réagir pour pénétrer dans le monde des hommes ».
Il doit se désidentifier de sa mère, donc être toujours en position de défense contre le féminin. Les femmes sont le sexe fort, le sexe premier, et contrairement à ce que disait Simone de Beauvoir, « on ne naît pas homme, on le devient ».
De plus, de nos jours, les garçons n’ont plus de repères sociaux, c’est donc pour eux encore plus difficile, il y a un malaise des hommes, ce qui fait que les femmes souffrent aussi.
La « nature humaine » sur laquelle on s’interroge tant n’est pas une entité fixe, car l’humanité n’est pas achevée. En fait les mutations sont très lentes, sur des millions d’années.
Ici je rajoute le point de vue chrétien : pour nous il y a tout de même quelque chose de fixe et de sûr, c’est le projet de Dieu sur l’homme et sur la femme, qui est un projet d’amour.
Mais dans la société moderne sans repères, sans Dieu, plus rien n’est en place, l’individu passe avant le couple, les femmes se détachent de leurs fonctions physiologiques (grossesse, allaitement), dans l’amour on exige la réciprocité dont la survie de l’amour dépend. La règle de réciprocité est constamment bafouée au détriment des femmes, c’est pourquoi les divorces sont le plus souvent à l’initiative des femmes, car les hommes ont tout à perdre à un divorce s’ils se retrouvent seuls. Certaines féministes prônent même la solitude. En amour il y a moins de passion, plus de tendresse. Les hommes dépossédés de leur pouvoir restent muets sur leur nouvelle condition : ni livres, ni films, ni réflexion en profondeur ("Trois hommes et un couffin" est un film de femme).
Mais ils réagiront forcément un jour. Ce sera peut-être un brutal retour en arrière, comme dans certains pays musulmans actuellement. Ou bien ils s’approprieront les pouvoirs féminins : certains rêvent d’homme enceint, de mère artificielle, ou plus simplement de pilule masculine pour retrouver un rôle de décision dans la procréation.
On ne sait pas comment l’humanité évoluera, mais ce qui est sûr c’est qu’elle évoluera encore.
Au milieu de ce désarroi, Dieu merci il y a nous, les chrétiens, qui avons la chance d’avoir un sens à notre vie. Pour nous, les hommes et les femmes ne sont pas interchangeables et c’est très bien comme ça, même s’il y a bien des choses à améliorer !
Le livre d’Elisabeth Badinter est une étude historique et sociologique absolument passionnante, qui donne beaucoup à réfléchir et à discuter. On peut lui reprocher de ne pas prendre parti sur la question, notamment elle décrit l’actuelle confusion des genres comme si c’était une situation normale. Mais après tout, son propos n’est pas moral, c’est simplement une description, et le lecteur chrétien peut toujours rajouter un jugement de valeur.
Fée Violine
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Message par Fée Violine Sam 1 Déc 2007 - 16:12

Marcelle Auclair, A la grâce de Dieu, éd Seuil, 1973, 170 pages


Marcelle Auclair, écrivain et journaliste, est connue surtout pour son célèbre Livre du bonheur paru en 1959, une leçon d’optimisme. Mais la liste de ses œuvres est longue, une trentaine de titres : des romans, des biographies (ste Thérèse d’Avila, Jaurès, Lorca, ste Bernadette), des mémoires, et différents livres religieux pour enfants.
Le livre qui nous intéresse aujourd’hui, A la grâce de Dieu, comme son nom l’indique parle de Dieu avec grâce, et de l’action de la grâce de Dieu à travers sa vie.
C’est son autobiographie spirituelle, l’histoire de ses relations avec Dieu.
En tête du livre, une phrase de l’auteur elle-même :
« Les changements dans l’Eglise sont tels, que bien des gens ne retrouvent plus leur Bon Dieu. J’ai suivi le mien à la trace, et cherché à l’identifier ».

Marcelle Auclair est née avec le siècle dans le centre de la France, dans une famille cultivée, catholique sans bigoterie, d’une profonde bonté. Dès la plus tendre enfance elle découvre la prière :
« J’avais trois ans lorsque mon frère unique mourut, bébé de deux mois. J’eus beaucoup de chagrin. Je montais au grenier, et agenouillée sur une chaise défoncée, face à une lucarne sur le ciel, je priais en cachette…Pas pour mon frère, mais avec lui. Je dis prière. Il s’agissait plutôt, je ne l’ai compris que longtemps après, d’oraison instinctive : l’immersion très tendre, totale, dans une clarté paisible, sans forme, sans contours, diffuse, mais resplendissante (…). Ni ma mère, ni personne, n’a jamais rien su de ces fuites vers le haut. On s’en serait d’autant moins douté que je n’étais pas de ces enfants qui parlent de Jésus à tout propos. On avait peine à me faire tenir tranquille pendant la prière du soir et du matin. Mais le souvenir du grenier, de ce bel amour, ne m’a jamais quittée ».

Elle a 7 ans quand elle emménage, avec ses parents, à Santiago du Chili où elle passera toute sa jeunesse. Elle va à l’école chez des religieuses, puis de crainte qu’elle n’oublie sa langue maternelle, on la met à 10 ans dans un cours tenu par une vieille demoiselle française bigote et bornée. A ce propos elle critique violemment l’éducation religieuse donnée à cette époque aux jeunes filles de la bourgeoisie.
« Tel Formulaire de prières à l’usage des Enfants de Marie donne du 19ème siècle une idée à faire peur. Les examens de conscience peignent l’époque bien plus cruellement que ne l’ont fait un Balzac, un Flaubert, et même un Zola : ce sont des monuments d’hypocrisie ».
Lasse de cette ambiance étouffante, elle entre à 14 ans dans un collège nord-américain, c’est-à-dire anglophone. Elle doit donc travailler énormément pour apprendre l’anglais assez couramment pour suivre les cours. Elle y réussit, car cette jeune personne a beaucoup de volonté.
Elle dévore les auteurs classiques anglais et français.
« Notez en passant qu’il ne fut pas question pour moi du moindre baccalauréat. L’idée ne me serait pas venue de travailler pour autre chose que pour le plaisir. Somptueuses 16è et 17è années ! »

Puis elle découvre la « pensée positive », qui aura un effet spectaculaire sur la santé de sa mère. Elles découvrent « que la volonté de Dieu est bonheur. A nous de ne pas la contrecarrer. Jamais plus [ma mère] ne fut malade ; sa gaieté, son entrain, son activité, son dévouement furent une bénédiction pour tous ».
« L’instant où nous comprîmes cela, ma mère et moi, fut le plus important de toute notre existence ».
« Je suis le Chemin [dit Jésus]. On peut toutefois se fourvoyer sur des voies de traverse ».

Elle décrit avec humour les étranges cours de la yogi douteuse qu’elle fréquenta quelque temps.
« Certaines rencontres ne sont pas sans danger, quand le sens de l’humour fait défaut. L’humour évite de s’abandonner à l’influence (…) qu’un « maître», dans certains cas, exerce sur les natures faibles ou anxieuses. En toutes circonstances, rester lucide, chose bonne à savoir, dès le jeune âge. L’expérience pseudo-tibétaine ne fut pas entièrement perdue : une recherche spirituelle, même ratée, n’est jamais vaine ».
« Cette gamine avide de spiritualité vivait simultanément des amours tumultueuses »,
ce qui ne l’empêche pas d’aimer Dieu.
« En ce temps-là, j’avais pour Dieu le Père une grande tendresse. Mes rapports avec lui étaient simples, confiants. Il ne me faisait pas peur du tout. (…) Ma prière était un tendre soliloque, suivi de la contemplation heureuse de Toute Perfection ».

Là-dessus, la jeune fille écrit en trois semaines un roman en espagnol, Toya, qu’elle publie avec un énorme succès. Tous les critiques d’Amérique du Sud crient au génie, sauf un, grâce à qui elle découvre qu’elle a des progrès à faire, et qu’elle n’y réussira pas en restant à Santiago, qui n’est qu’un grand village. Elle décide donc d’aller vivre à Paris, car, pense-t-elle, « il est tonique d’être incompris ».

Sur le bateau elle déchire et jette à l’eau toutes les lettres de recommandation données par son père qui a de nombreux amis dans le milieu littéraire parisien. Cette jeune fille décidée veut se débrouiller toute seule. Paris lui plaît beaucoup, et voilà qu’un jour elle retrouve une de ses lettres de recommandation qui avait échappé au massacre « par hasard » (« Imbéciles, qui donnons à Dieu le nom de hasard »).
Grâce à cette lettre, elle arrive à la Maison des amis des livres, une librairie fréquentée par les plus grands écrivains de l’époque, Claudel, Valéry, Gide, Giraudoux, Léon-Paul Fargue, Valery Larbaud qui lui donnera des conseils littéraires, et enfin l’écrivain Jean Prévost qui deviendra son mari en 1926. Ils auront trois enfants, tous écrivains comme leurs parents. Jean Prévost mourra assez jeune en héros de la Résistance.
Marcelle Auclair entrera, toujours « par hasard » (avec beaucoup de guillemets), dans le journalisme.
« Consciente de la direction divine, je me suis laissée guider. Soit qu’une brusque intuition m’ait poussée, soit que des événements imprévisibles m’aient ouvert des horizons insoupçonnés, je n’ai fait qu’obéir à mon Seigneur et Maître. Cette attitude, librement et joyeusement adoptée, fut la plus grande chance de ma vie ».

Elle tient une rubrique féminine dans un journal, ce qui l’aide à connaître les femmes et à comprendre que leur intérêt dans la vie c’est « être heureuses et rendre heureux ceux qu’elles aiment. Cette évidence me suggéra l’idée d’un magazine féminin dont l’optimisme et le plaisir de vivre seraient la clé. Une cure de bonheur hebdomadaire. Ainsi naquit "Marie-Claire" (…). J’eus le sentiment de contribuer à améliorer le sort de mes contemporaines. Des milliers de lettres me le prouvaient. Vrai, on enseigne tout aux gens, sauf à vivre ».

En 1938 elle publia un opuscule, Le bonheur est en vous.
« Il fut à l’origine de mes livres sur le bonheur (…). Des romans offrant du monde et des humains une vision dramatique auraient mieux servi ma réputation d’écrivain. La joie de vivre semble vulgaire aux gens de lettres ».
Marcelle Auclair parle de la chance :
« On donne le nom de chance au courage des autres. L’espérance n’a pas toujours les apparences de la raison ; pour la saisir, il faut sauter dans le vide. Les chances nous sont offertes, elles ne nous sont pas données : on paie le prix. Un prix souvent austère : l’abandon de certaines choses auxquelles nous tenons, et l’exercice d’une vertu sans prestige : la persévérance ».

A cette époque, Marcelle Auclair s’éloigne, pour un quart de siècle, de la pratique religieuse, à cause d’un prêtre qui la déçoit. Les catholiques français la déçoivent aussi. Mais elle ne cessera jamais de prier ni de lire les Ecritures. Elle continue ses recherches métaphysiques papillonnantes, dans tous les mouvements spirituels qu’elle rencontre, les « sectes » comme on dit de nos jours : la religion tibétaine, la théosophie, l’anthroposophie, les Témoins de Jéhovah, et pas mal d’autres, mais surtout elle étudie la Bhagavad Gita, livre sacré hindou, qui lui apporte beaucoup et l’aide même à mieux comprendre ste Thérèse d’Avila, sa sainte préférée, dont elle lit les œuvres depuis l’âge de 14 ans.
« Les principes de spiritualité n’existaient pour moi que vécus : cela m’a gardée de la confusion. L’intellect, la curiosité d’esprit peuvent divaguer : la mise en action canalise. Je transposais mes acquisitions dans le quotidien et travaillais sur moi-même avec acharnement. Cela me permettra d’écrire un jour Le livre du bonheur ».
Elle fréquente aussi un dominicain qui lui parle sans cesse de la Trinité et du Saint Esprit.
« Son monologue s’élevait à des hauteurs où j’étais bien incapable de le suivre, mais je captais de ses visions lumière, chaleur, de même qu’on capte la lumière et la chaleur du soleil sans rien savoir de la composition de ses rayons ».

Pendant la guerre, veuve avec trois enfants elle eut une vie très difficile mais sa confiance en Dieu et en sainte Thérèse fit qu’elle ne s’inquiéta de rien et résolut tous les problèmes. Sainte Thérèse, par exemple, lui fit trouver un appartement sans problème, à une époque où c’était très difficile. Si bien qu’elle décida, par reconnaissance et amitié pour sa sainte protectrice, d’écrire sa biographie, après avoir traduit les 2 000 pages de son oeuvre.
Pour cela, il lui fallut faire un long périple à travers tous les Carmels d’Espagne, en compagnie d’une photographe. Elle obtient du Vatican la permission (que personne n’avait jamais demandée) d’entrer dans la clôture de ces Carmels.
« Avec l’audace que Dieu donne à une fourmi [suivant une formule de ste Thérèse], je demandai au gouvernement espagnol de mettre une voiture à ma disposition ».
Ce sera une somptueuse Buick avec chauffeur, qui sera très utile pour lui ouvrir certaines portes (il y a notamment une scène extrêmement drôle avec un certain vicaire général…)
Marcelle et sa collègue sont accueillies chaleureusement par les carmélites.
« Dans ces monastères, tout est d’une extrême pauvreté, mais beau de la simplicité des formes et de l’harmonie de quatre couleurs : blanc des murs, brun de la bure et des bois, rouge-rose-rouillé des briques, des tuiles, des carrelages, le bleu du ciel comme toile de fond ».
Les jeunes sœurs à la récréation chantent et dansent. Les autres les regardent en filant la laine.
« Beauté des réfectoires. Ce sont de longues pièces blanchies à la chaux, souvent voûtées. Les tables, étroites, polies à coups de torchon depuis des siècles, brillent discrètement ».
Elle a le bonheur de rencontrer une sainte carmélite, très vieille, mourante, mais magnifique, qui lui donne de précieux renseignements pour son enquête et qui l’impressionne beaucoup.
Quand elle doit quitter ce séjour enchanteur pour retourner dans le monde moderne, elle a l’impression de quitter l’abondance pour la pénurie, et non l’inverse.

En 1950, la parution de sa Vie de sainte Thérèse d’Avila, qui a énormément de succès, lui procure l’occasion de rencontrer Mgr Roncalli, futur Jean XXIII. Elle en profite pour lui parler avec ardeur de la cause qu’elle défend, l’appel de Stockholm lancé, en cette période de guerre froide, par les partisans de la paix mondiale contre la bombe atomique. Beaucoup de catholiques sont opposés à ce mouvement pour la paix, de crainte de passer pour communistes, c’est l’époque où les communistes viennent d’être excommuniés par le pape. Cette haine des catholiques pour la paix indigne profondément notre amie Marcelle qui pense, elle, que Dieu est plutôt pour la paix que pour la guerre. Le nonce Roncalli écoute avec beaucoup d’intérêt les informations que lui donne Marcelle Auclair et lui demande un rapport écrit sur ce sujet.
Mais dans la hiérarchie catholique, beaucoup ne sont pas si ouverts que lui, et Marcelle Auclair en est scandalisée.
« Les prêtres ne sauront jamais assez à quel point leur comportement quotidien importe plus que leurs paroles ».
Mais « je fus sauvée le jour où je fis le raisonnement suivant : Jésus-Christ notre Seigneur a choisi comme chef de ses représentants sur la terre le seul de ses disciples qui l’ait renié trois fois. Il nous a donc prévenus : ces hommes sont faillibles. Si Pierre, qui aimait Jésus, qui a eu le privilège de partager sa vie, fut capable d’insigne faiblesse devant le danger, peut-on attendre mieux du haut et bas clergé ?
Sans illusions, mais sans colère, prenons les prêtres tels qu’ils sont.
Et recevons de leurs mains les sacrements : eux seuls sont aptes à nous les donner ».


Pour finir, Marcelle Auclair s’inquiète de la tendance rationaliste, dans l’Eglise, à refuser ce qui ne peut s’expliquer.
« Si je n’étais revenue à la pratique religieuse il y a quelque vingt ans, j’y reviendrais aujourd’hui.
Je ne pourrais souffrir de laisser mon Seigneur tout seul en ce jardin des Oliviers.
Ceci dit, qui peut savoir où jaillit l’eau vive ? »

Sur ces mots d’espérance se termine ce petit livre aussi allègre que nourrissant.
Marcelle Auclair n’est guère à la mode, car le bonheur dont elle nous montre le chemin est tout simple. Mais cette femme, active et mystique, intelligente, pleine de bon sens et d’humour, est bonne à fréquenter et c’est un vrai plaisir de la lire.

A la grâce de Dieu, 1973
Vie de sainte Thérèse d’Avila, 1950, réédité 1967
Le livre du bonheur, 1959 (= Le bonheur est en vous + La pratique du bonheur)
Le tout aux éditions du Seuil


Dernière édition par Fée Violine le Mer 10 Déc 2008 - 14:01, édité 1 fois
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Message par pacalou Sam 1 Déc 2007 - 17:03

Il commence à réfléchir :
« Qui suis-je aux yeux d’autrui ? à mes propres yeux ? »
C’est plus un problème d’identité qu’un choc affectif. Et un soir de 1977, la maladie commence :

J'ai connu cela ds ma jeunesse (pas au même point)

« Je reçois subitement à la tête l’impact d’une douleur très brève, d’une violence fulgurante. Elle transperce mon crâne et atteint mon cerveau. Qu’est-ce que j’ai ? Une parcelle de mon organisme est touchée, je le sens. C’est exactement comme si une flèche, décochée par une main invisible, avait pénétré et détruit un de mes centres nerveux. J’ai le sentiment immédiat que mon intégrité se disloque, qu’un corps étranger bouleverse d’un seul coup toute une ordonnance physiologique et me déconstruit, semblable à un grain de sable enrayant une machine. Soudain, en moi, c’est un véritable chaos ».
Je ne sais pas comment les médecins appellent ce phénomène. Mais nous qui sommes chrétiens, nous savons bien quelle est cette main invisible qui atteint Michel Delpech au plus profond de son être, qui pendant des années cherchera à le tuer, et que seul Jésus-Christ parviendra à vaincre.
Cela me parait extraordinaire: un cas de possession décrit de la sorte! Comme une agression délibérée...

Ce livre peut intéresser tous ceux qui sont concernés par le douloureux problème de la dépression, maladie si difficile à soigner dans ses formes graves, car Michel Delpech nous le montre bien, les causes en sont à la fois physiques, psychologiques et spirituelles. Il nous indique une espérance.

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Message par pacalou Sam 1 Déc 2007 - 17:36

Me voici : Vingt ans, comme tout le monde, sans bonheur ni malheur spécial ; mais une inquiétude, une inquiétude terrible, qui veille en moi dès ma vie, et me soulève sans cesse, et sans cesse m'empêche de me satisfaire ; une inquiétude qui me soulève en transports de volupté, en transports de désespoir, une inquiétude infatigable. J'ai cherché dans les livres, certains m'ont ravi, je les ai aimés comme des frères plus âgés et qui savaient mieux, je les ai crus".

Moi aussi...


l’orgueil d’une grande intelligence, étaient venus lui cacher l’image de Dieu».


« Je me suis habitué à regarder ma vie, au lieu de la vivre ».

C'est aussi ce que j'ai fait, trop longtemps; trop facilement (en enfant gâté -prétendument- que j'étais)


« J’aime mieux souffrir que de consentir à une domination, cette domination ne dût-elle durer qu’un instant et me donner l’éternelle béatitude ».

Cela, c'est terrifiant...


« Ecrivez-moi non pas comme une dévote à son confesseur, [b]pour étaler complaisamment vos petits travers, mais pour chercher de tout votre cœur les moyens de les guérir ».



« L’art n’est qu’une pâle contrefaçon de la sainteté. Ses rayons sans chaleur ne font pousser qu’une végétation sans racines (…). Tous les grands écrivains du siècle qui vient de finir ne nous ont-ils pas assez ressassé le néant de la vie, l’illusion de toute joie, la seule certitude de l’enfer et du désespoir ?

Cela a continué au 20ième siècle et aujourd'hui c'est pire que jamais...
Kafka, qui a écrit la douleur d'être juif, souhaitait que son oeuvre soit détruite; je l'ai lu; ds ma jeunesse, je m'en suis délecté, mais il est clair qu'il ne m'a rien apporté de bon, sauf pê le sentiment que je n'avais pas été seul ds mon cas, mais est-ce le meilleur moyen de sortir de l'enfer, que de s'y savoir accompagné?


Qu’ils mangent donc ce pain de l’art et du rêve auquel ils trouvent tant de saveur. Quant à moi, je crois à un Dieu bon et à une vie qui est pour de bon et où il n’est pas indifférent de prendre un chemin ou l’autre ».

Les crétins qui anéantissent dans leur camelote abstraite toute la beauté de la création, pour la réduire à "Nacht und Nebel" (nuit et brouillard) peuvent faire prendre des vessies pour des lanternes mais leur bêtise reste très concrète...


« Depuis longtemps j’ai décidé d’aimer le trouble, l’inquiétude et l’instabilité, puisque ce sont les seuls biens qui me soient dispensés ».

Cela, c'est ce que l'on croit; les ravages de la complaisance (à ce trouble), n'apparaissent que dans la complaisance à ses ravages.

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Message par Fée Violine Sam 1 Déc 2007 - 19:49

cher Pacalou,

ça me fait plaisir que ces livres vous intéressent.
J'en ai encore plein d'autres, je les mettrai aussi.
Pour les citations de Jacques Rivière, qui vous semblent si choquantes, n'oubliez pas qu'il avait 20 ans quand il écrivait cela ! Par la suite, il a évolué vers plus de simplicité (il n'est jamais devenu totalement simple, tout de même. Il est vrai qu'il est mort assez jeune. Qui sait ce qu'il serait devenu, s'il avait eu le temps ?

Quant au témoignage de Michel Delpech, c'est vrai que c'est très bien décrit. Ce n'est pas exactement une possession, mais en effet il semble s'agir d'une attaque délibérée.
Heureusement il a beaucoup de courage et d'humilité, et il a eu la chance d'être aidé par des gens qui l'ont aidé à s'en sortir, mais ça a été difficile.

Les livres des dames ne semblent pas vous avoir inspiré ?
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Message par pacalou Dim 2 Déc 2007 - 14:56

Dominique a écrit:

Les livres des dames ne semblent pas vous avoir inspiré ?

Je n'ai pas lu les autres; M. Auclair, j'ai lu le "livre du bonheur" par curiosité, avant de retrouver la foi; pas un souvenir transcendant; faudrait sûrement que j'y revienne...

Pour JRivière, je n'ai été choqué que dans la mesure où cela me rapelle certain ressenti de ma propre jeunesse; mais c'est à cela que servent de tels témoignages, à se sentir moins seuls, donc, moins orgueilleux (pour ceux qui les lisent avant leur conversion).

J'aimerais vraiment lire cette correspondance; je vais pê l'acheter.

Merci, Dominique

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Message par Fée Violine Dim 2 Déc 2007 - 22:25

moi j'aime énormément Marcelle Auclair, je lui trouve toutes les plus belles qualités féminines. Je suppose que pour un homme c'est moins intéressant.
Dans mon enfance j'ai lu sa biographie de ste Thérèse d'Avila, qui m'a laissé un souvenir inoubliable et m'a certainement influencée (en bien).

Si vous lisez la correspondance Claudel-Rivière, j'espère que vous nous ferez part de vos commentaires.
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Message par Fée Violine Dim 2 Déc 2007 - 23:19

Henri Le Saux, Les yeux de lumière,
éd le Centurion, 1979, 187 pages

Site consacré à Le Saux : http://www.abhishiktananda.org/

Celui dont je vais vous parler aujourd'hui est un aventurier. Pas parce qu'il a vécu dans la jungle, dans les Himalayas et autres lieux exotiques. Non, il s'agit d'une autre sorte d'aventure : une aventure intérieure, bien sûr : Pages Feuilletées, ce n'est pas Ushuaia, ou alors c'est l' Ushuaia de l'aventure spirituelle ! J'aime les gens qui vont jusqu'à la limite de l'impossible.

Notre aventurier du jour a dit lui-même qu'il était un cosmonaute qui plongeait avec un bathyscaphe.

Que cherchait-il ? Dieu, évidemment.

Et je vais vous dire tout de suite la fin de l'histoire : il L'a trouvé !

Ce quêteur de Graal s'appelait Henri Le Saux.

Mais commençons par le commencement :

Henri Le Saux est né en Bretagne en 1910. A 19 ans il devient bénédictin à l'abbaye de Kergonan près de Carnac, dans la presqu'île de Quiberon, au milieu d'une vaste lande superbe et sauvage qui donne des idées d'infini. Très jeune il ressent une vocation à partir en Inde, mais il devra attendre pas mal d'années, au cours desquelles il exerce les fonctions de cérémoniaire, et de professeur d'histoire de l'Eglise, de droit canon et de patristique (étude des Pères de l'Église), donc un intellectuel de haut niveau.

Henri Le Saux en 1947 correspond avec Jules Monchanin, un prêtre français installé dans le sud de l'Inde, dans un but non pas missionnaire mais uniquement contemplatif.

Il apprend l'anglais et le tamoul, étudie les Upanishads, obtient l'autorisation de quitter son monastère pour rejoindre l'abbé Monchanin, et en juin 1948, âgé de 38 ans, il débarque au Sri Lanka.

Les deux hommes fondent un ermitage dans le diocèse de Tiruchirapalli, dans un endroit nommé Shantivanam ("le bois de la paix").

Sa vie sera tantôt celle d'un moine, au Shantivanam avec le Père Monchanin ou avec d'autres, tantôt celle d'un ermite, au même endroit ou dans l'Himalaya près des sources du Gange, tantôt celle d'un sannyâsî.

Un sannyâsî, c'est un ascète hindou qui a renoncé à tout et qui part sur les routes. Dans nos pays, on n'aime pas beaucoup les gens qui vagabondent d'un endroit à l'autre. En Inde, on les vénère, il y en a des millions, ça fait partie du processus normal de la vie : on étudie, on se marie, on travaille, et puis on laisse tout et on part. Mais bien sûr, la mentalité indienne n'est pas du tout la même que la nôtre.

Henri Le Saux, ou plutôt Swami Abhishiktânanda de son nouveau nom, a pris la nationalité indienne à l'âge de 50 ans, en 1960. Abhishiktânanda signifie "celui dont la joie est le Christ".

Il a écrit un certain nombre de livres décrivant son expérience et ses idées, car on a beau être un pauvre ascète hindou vivant de l'air du temps (ou presque), on n'en oublie pas pour autant le grec, le latin, la philosophie, la théologie et toute la forme de pensée occidentale dont l'éducation a imprégné l'esprit.

Notre Swami a donc écrit en 1956 avec Jules Monchanin Ermites du Saccidânanda[1], et puis il écrit tout seul, Monchanin étant mort en 1957,

Sagesse hindoue, mystique chrétienne (1965),

Rencontre de l'hindouisme et du christianisme (1966),

Une messe aux sources du Gange (1967),

Gnânânanda, un maître spirituel du pays tamoul (1970),

Eveil à soi, éveil à Dieu (1971),

Souvenirs d'Arunâchala (1978),

Initiation à la spiritualité des Upanishads (1979).

Il a écrit aussi beaucoup de lettres, d'articles dans des revues catholiques, et un journal intime spirituel, publié en 1986 sous le titre La montée au fond du cœur.

Le livre que nous allons feuilleter aujourd'hui n'est aucun de tous ceux-là : il s'agit d'un recueil composé d'articles de revues, de lettres et d'extraits du journal, et publié en 1979 sous le titre Les yeux de lumière.

De quels yeux s'agit-il ? La couverture du livre reproduit une photo d'Henri Le Saux à la fin de sa vie. On ne peut pas décrire ce regard, un regard qui voit Dieu, je ne sais pas si vous imaginez. On ne peut pas voir Dieu et vivre, à ce qu'il paraît. Et en effet, Henri Le Saux est mort de ce bonheur extraordinaire, mais il a tout de même vécu cinq mois, de juillet à décembre 1973, dans cet état où il n'y a plus de différence entre la terre et le ciel. Il est arrivé enfin au-delà du mental, au-delà des catégories intellectuelles, au-delà de la question impossible : comment être à la fois chrétien et hindou ? Il est arrivé là où les parallèles peuvent enfin se rencontrer : dans l'infini.

Quand Henri Le Saux arrive en Inde, en 1948, "l'ambiance générale est celle d'une désorientation théologique complète".

L'indépendance de l'Inde vient d'être proclamée. Le christianisme a jusque-là été très lié au pouvoir britannique et les chrétiens se trouvent dans une situation ambiguë, dans un conflit entre fidélités : celle de l'identité indienne et celle de l'identité chrétienne.

"On pressent une incompatibilité qu'on s'efforce de nier par quelques concessions à l'adaptation du christianisme à la culture indienne".

Henri Le Saux, lui, ne veut pas de compromis. Il veut être à la fois chrétien et hindou, sans pour autant tomber dans le syncrétisme. Il abandonne toute idée de supériorité du christianisme. Sa situation est donc très inconfortable, il a beaucoup souffert pendant un certain nombre d'années.

Plus tard, "le Concile Vatican II donne un espoir et indique une voie" : le christianisme commence à considérer "que l'hindouisme est une religion authentique, donc porteuse de salut, et que la rencontre entre les deux religions peut conduire à une relation positive et bénéfique. A partir de cette époque, Henri Le Saux se sent confirmé dans sa vocation de sannyâsî dans l'Eglise".

Mais tout reste à faire. Il n'y a pas "de fondements pour une théologie indienne et encore moins pour une théologie hindoue-chrétienne".

L'Inde est une mosaïque de religions : l'hindouisme, l'islam, le jaïnisme, les sikhs, le bouddhisme, l'animisme.

La plus importante est bien sûr l'hindouisme, qui est lui-même très divers. Parmi tous ces courants, Henri Le Saux ne fréquenta que le milieu monastique védantin, le Védanta étant un système philosophique inspiré des Upanishads, livres sacrés qui font partie des Védas. Tout cela est très ancien, très antérieur au christianisme.

Jusqu'ici je vous ai présenté le contexte. Maintenant, je vais laisser la parole à l'auteur.

Voici ce qu'il écrit dans un article intitulé L'Inde et le Carmel, paru en 1964 dans la revue "Carmel":

"La mission de l'Eglise est de proclamer à tous et partout l'appel du Ressuscité et de rendre disciples toutes les nations, et le but final de cette mission c'est la récapitulation de tout dans le Christ, afin qu'en la consommation du temps et du mystère de Dieu, tout par Lui soit ramené au Père, et que Dieu soit tout en tous. […] Comme le dit Isaïe, ce sont tous les trésors des nations, et donc premièrement leurs trésors spirituels, qui montent ainsi, et sont consacrés sur l'autel de Iahvé en son temple de la nouvelle Sion. Tout de l'univers doit être consacré au Seigneur, tout doit être sanctifié".

"Au cœur de l'Eglise et au cœur de l'Inde à la fois, Dieu attend que son Eglise vienne délivrer ce secret de l'Inde. Dieu est patient. Il attend et Il attendra tant qu'il faudra. Tant que son Eglise ne sera pas prête à plonger au sein du fond et à y recueillir la perle, Il continuera d'inspirer les sages de l'Inde, Il maintiendra ininterrompue la lignée des rishis, dépositaires et gardiens de ce secret, visiblement et apparemment hors de cette Eglise indifférente, invisiblement et en réalité en son sein même, en longue gestation. Il faut en effet accepter de plonger et de plonger très à fond pour découvrir cette perle, jusqu'à la perte de soi en soi, de soi au-delà de soi. […] Non pas une plongée intellectuelle qui révèle si peu en réalité, encore moins une plongée par imagination ou affectivité, encore plus vaine. Mais la plongée aux sources mêmes de l'être, là où l'Inde attend, là où l'Eglise attend. […] La grâce de l'Inde est essentiellement une grâce d'appel à l'intérieur. […] Le message vrai de l'Inde est tellement secret que bien peu en fait sont capables de l'entendre dans sa vérité très pure. Les ersatz en pullulent, d'ordre spéculatif, émotionnel ou bien gnostique, et beaucoup d'âmes se laissent tromper. Seule, ose-t-on dire, une âme profondément chrétienne qui a pénétré au cœur du Christ, qui comme le disciple bien-aimé a su écouter, au dehors et plus encore au dedans, les battements du cœur de Jésus, sera capable de pénétrer aux derniers retraits du cœur de l'Inde et d'y recueillir, pour soi et pour l'Eglise, son message le plus secret. […]L'Inde aurait-elle donc à apporter au christianisme un message d'intériorité que celui-ci ignorerait ? En vérité, l'Inde n'apporte au chrétien rien qu'il ne possède déjà", mais, ajoute-t-il, "l'Inde peut aider l'Eglise à faire fructifier ses propres trésors".

"Le secret de Dieu est au-delà de tous mots. Ceux qui le touchèrent de plus près, en quelque climat religieux que ce soit, purent seulement dire de lui qu'il est inaccessible".

L'auteur parle ensuite du rôle irremplaçable des contemplatifs dans l'Eglise, et aussi de l'image de la grotte, la cavité du cœur, employée dans les Upanishads.

"C'est le lieu caché, le lieu secret par excellence, le lieu pourtant que l'homme à tout prix doit rejoindre s'il veut échapper à la mort et parvenir à la vie impérissable".

"L'expérience de non-dualité que nous transmettent les Ecritures de l'Inde est sans doute le sommet le plus haut de ce que pouvait atteindre l'homme, même guidé par l'Esprit, tant que Dieu ne s'était pas révélé en son Fils".


Dans un autre article sur L'expérience de Dieu dans les religions d'Extrême-Orient, publié en 1973, Henri Le Saux explique ce qu'est cette expérience de non-dualité :

"En face de cette expérience de Dieu-Autre [il s'agit de la tradition biblique et chrétienne] il y a l'expérience qui ne laisse même plus la possibilité de reconnaître ni de nommer cet Autre, pas même de s'en distinguer, tellement elle a été envahissante et a fait le vide dans l'être. […] Il n'y a plus place ici que pour le silence".

"De ce mystère, les grands ont toujours refusé de disserter. Le Buddha refusait toute question à ce sujet. Sans doute commentateurs bouddhistes et védantins ont-ils discouru là-dessus de façon indéfinie, tant l'esprit a du mal à accepter de se taire. Cependant l'intuition fondamentale est silence"
.

On peut remarquer qu'Henri Le Saux lui-même a beaucoup écrit sur le silence et sur l'indicible…Ce n'est que dans les derniers mois de sa vie, après cette crise cardiaque accompagnée d'une "merveilleuse expérience spirituelle" d'éveil, qu'il ira vraiment au fond des choses. Voici une lettre écrite trois jours seulement après le grand événement :

"Il n'y a que l'instant éternel où je suis. Ce nom de JE SUIS que Jésus s'applique en Jean est pour moi la clé de son mystère. Et c'est la découverte de ce Nom, au fond de son propre "JE SUIS", qui est vraiment le salut pour chacun. […] Alors voyez-vous, pour nous ici, l'Europe, l'Eglise, même les meilleurs nous paraissent vivre à la surface de leur être seulement, "mystère" de l'Esprit qui murmure en termes pauliniens tu es "fils de Dieu", en nos termes ici "tu es cela". On se bagarre sur le ministère, sur le célibat, et le reste, et on oublie qu'une seule chose compte, c'est d'éveiller".

Toutes ces idées peuvent vous paraître étranges et même inquiétantes. Je tiens à préciser que ce livre Les yeux de lumière a obtenu le nihil obstat, l'imprimi potest et l'imprimatur, c'est-à-dire qu'il a été publié avec l'autorisation officielle de la hiérarchie catholique. Il n'y a donc rien d'hérétique dans les propos de Swami Abhishiktânanda, qui resta toujours moine et prêtre de l'Église catholique, et qui fut, au dire du Père Monchanin lui-même, "celui qui a pénétré le plus avant le mystère de l'Inde".

L'hindouisme est mal connu en Occident car, dit Henri Le Saux, "il faut toujours se défier des transpositions conceptuelles et verbales qui sont faites d'une tradition ou d'une culture dans une autre. Les termes les plus clairs et les traductions les plus exactes étymologiquement risquent constamment d'égarer".

De plus, dit-il, les traducteurs ne sont pas forcément compétents sur le sujet et peuvent aboutir à des approximations. Et surtout, il ne faut pas oublier que la philosophie indienne est pratique, les mots et concepts employés par les gourous ne visent pas à transmettre une doctrine mais à mener le disciple à une expérience. Donc, si vous voulez vraiment connaître l'hindouisme, lisez Henri Le Saux plutôt qu'un autre, puisqu'il l'a vraiment connu de l'intérieur.

Pour finir, encore une phrase d'Henri Le Saux :

"La mission essentielle de l'Église est d'éveiller les hommes à l'unique Présence et de les rendre toujours plus présents à Dieu et à leurs frères. Mais personne ne peut en éveiller un autre s'il n'est pas lui-même pleinement éveillé".

J'ai abordé très superficiellement ce sujet vaste et compliqué. Tout cela revient à dire qu'au lieu de parler de Dieu, il vaut mieux Le connaître.



[1] Sat-chit-ânanda sont trois mots sanscrits qui signifient l'Etre, l'Esprit, la Béatitude.


Dernière édition par Fée Violine le Mer 10 Déc 2008 - 14:13, édité 1 fois
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Message par pacalou Mer 5 Déc 2007 - 22:10

[quote="Dominique"]Marcelle Auclair, A la grâce de Dieu, éd Seuil, 1973, 170 pages

Des romans offrant du monde et des humains une vision dramatique auraient mieux servi ma réputation d’écrivain. La joie de vivre semble vulgaire aux gens de lettres ».[/i]

Mais « je fus sauvée le jour où je fis le raisonnement suivant : Jésus-Christ notre Seigneur a choisi comme chef de ses représentants sur la terre le seul de ses disciples qui l’ait renié trois fois. Il nous a donc prévenus : ces hommes sont faillibles. Si Pierre, qui aimait Jésus, qui a eu le privilège de partager sa vie, fut capable d’insigne faiblesse devant le danger, peut-on attendre mieux du haut et bas clergé ?
Sans illusions, mais sans colère, prenons les prêtres tels qu’ils sont.
Et recevons de leurs mains les sacrements : eux seuls sont aptes à nous les donner ».

Cela, c'est tout ce qu'on devrait répondre à tous les critiques (francmacs, athées, etc. sur le forum DA ou ailleurs) de l'Eglise et de ses serviteurs

Marcelle Auclair n’est guère à la mode, car le bonheur dont elle nous montre le chemin est tout simple. Mais cette femme, active et mystique, intelligente, pleine de bon sens et d’humour, est bonne à fréquenter et c’est un vrai plaisir de la lire.

J'ai souvent songé que Dieu est simple; pas intellectuel, au sens hélas prestigieux du mot; depuis que j'ai retrouvé la foi, je suis effrayé par les monuments dressés ds les librairies, les bibliothèques, la presse et ts les médias, aux "intellectuels", par la place faite aux "-ismes" qu'ils bâtissent sur du sable et qui ne mènent à rien;

Une femme forte, audacieuse, intelligente, sensible;
De quoi faire peur à un homme, quoi! (je viens de lire aussi Badinter)

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Message par Fée Violine Jeu 20 Déc 2007 - 10:13

Françoise Verny: Dieu existe, je l’ai toujours trahi, éd Olivier Orban, 1992


Il y a les saints. Il y a les personnes converties subitement, dont toute la vie change définitivement. Il y a ces témoins qu’on admire de loin et qui ont bien de la chance de fréquenter Dieu. Et puis il y a les chrétiens ordinaires, qui cheminent à petits pas dans le noir, avec de petites lumières et de petites chutes. Et il y a Françoise Verny.

Françoise Verny a écrit en 1990 une autobiographie, Le plus beau métier du monde (il s’agit de l’édition : elle a travaillé chez Grasset, Gallimard, Flammarion).

En 1992 Françoise Verny a publié, chez Olivier Orban, un deuxième livre, au titre provocant : Dieu existe, je l’ai toujours trahi.

Elle y raconte aussi sa vie, mais cette fois sa vie intérieure. Le titre bien sûr est inspiré d’André Frossard.

« Ce titre marque la pauvreté d’une démarche sans cesse remise en cause par moi-même.»

« Je ne cesse de rencontrer Dieu pour le renier aussitôt. Je le questionne sans relâche et n’écoute pas sa réponse.»


Françoise Verny fait pendant 200 pages son examen de conscience : elle se trouve médiocre, agressive, infidèle, incapable de prier, intolérante, elle a honte de son indignité, elle parle même du « dégoût que [lui] inspire [sa] propre personne » mais elle ne s’y complaît pas.

Car elle est aussi une personne très intelligente, très énergique, très active et même très ambitieuse qui réussit une brillante carrière (à 63 ans, elle ne songe pas à la retraite), une forte personnalité. C’est aussi une grosse dame pas très belle, qui mange trop, qui boit du whisky, qui fume. Chaleureuse, douée d’une capacité d’écoute extraordinaire, c’est vraiment quelqu’un d’intéressant.

« Je m’impose par ma prestance autant que je séduis par mon intelligence.»


Françoise Delthil est née dans une famille bourgeoise, son père était « un intellectuel dans la grande tradition des médecins humanistes » (pédiatre, un homme très gentil), sa mère une brillante ophtalmologue apparentée au psychanalyste Jacques Lacan. Son père lui a appris à aimer les livres, de sa mère elle tient l’ambition, la passion de la carrière.

Pendant la guerre, son amie Nicole, juive, est déportée et meurt à 15 ans. C’est une blessure qu’elle n’oublie pas.

En classe de philo, en 1945, elle entre au Parti communiste, pleine d’espérance et rêvant de sauver le monde.

En même temps, des amis chrétiens lui font découvrir l’univers de la foi, qui la fascine. Mais Dieu ne lui fait pas de signe spectaculaire, elle « découvre le Christ peu à peu, par éclairs, pour l’oublier aussi vite.» Elle lit avec émerveillement l’évangile de Matthieu, va voir un prêtre avec qui elle n’arrive pas à s’entendre. Puis, en 1946, elle découvre un couvent dominicain à Paris, où elle rencontre le père Chenu qui va devenir son guide jusqu’à sa mort à 95 ans en 1990. L’esprit dominicain lui convient très bien.

« Je découvre le message évangélique dans sa simplicité et sa ferveur. Je découvre l’homme dont la chaleur va m’éclairer pendant 45 ans.»

Le père Chenu, célèbre théologien et historien, respecte la liberté de la jeune fille. Il n’essaie pas de la détourner du communisme, qu’elle quittera d’elle-même en 1953.

« Parfois je m’exaspère contre lui : pourquoi ne fustige-t-il pas mes trahisons ? Il me répond que ma colère témoigne en ma faveur, qu’elle marque mon horreur du péché. L’amour le comble : il préfère le risque de l’aveuglement à la sécheresse du cœur. Et par la sympathie qu’il me manifeste, il m’apprend à ne pas désespérer de moi-même.»

En 1955, à 26 ans, elle rencontre un jeune avocat, Charles Verny, héros de la Résistance, avec qui elle milite pour la libération de l’Algérie. Très vite ils se marient, ont un fils, mais ils divorcent peu après.

A la même époque elle devient journaliste, ce qui la passionne nettement plus que de préparer une thèse au CNRS, où elle n’est pas restée longtemps. Le travail en équipe lui plaît.

« Dès mon adolescence j’ai éprouvé une impression de creux, de vide. J’ai reconnu rapidement que je n’existais qu’au contact des autres.»

« Pour que mes lumières se révèlent, il leur faut un contact extérieur.»

Françoise Verny parle longuement de ses amis. Sa vie sentimentale ayant été un échec, l’amitié a pour elle une grande importance.

Bien sûr le père Chenu a une grande place dans sa vie :

« Il nous aimait tellement, Dieu et moi (j’ose accoler nos deux noms), qu’il parvenait toujours à reconnaître l’empreinte du Créateur sur la créature.»

Puis Julien Green, qu’elle a connu récemment quand il avait déjà 90 ans. Elle le voit souvent et l’écoute avec émerveillement pendant des heures.

« Julien Green m’a offert un moment de grâce : au contact des meilleurs, je me sens capable de devenir meilleure. Je reprends espoir en moi. Et je dois reprendre espoir en moi pour reprendre espoir en l’homme. »

Françoise Mallet-Joris est sa meilleure amie. Elles sont très différentes mais se fréquentent assidûment.

Elle rencontre beaucoup d’écrivains, bien sûr, dans son métier : Andrée Chédid, Marie-Madeleine Davy, Henry Troyat, BH Lévy etc.


Dans l’Eglise, Françoise Verny ne se sent pas à l’aise.

« L’Eglise ne m’offre ni famille ni réconfort.»

« Si l’Eglise catholique reste enfermée dans ses certitudes et ses structures, elle ne répondra pas aux aspirations de ce temps. »

« Cette Eglise, que je fréquente sans passion et considère avec méfiance, me donne cependant l’espérance : je ne sais pourquoi ni comment, moi dont la foi vacille sans cesse, je crois résolument à la communion des saints, au lien des hommes dans le temps et hors le temps. »

Après sa conversion en 1945, Françoise Verny s’est passionnée un temps pour Thomas d’Aquin mais finalement elle se sent plus mystique que philosophe, même si elle est une « mystique tiède » suivant son expression.

« Mes tourments appellent une réponse mystique. J’écris ce livre sans recourir aux philosophes et aux théologiens qui ne peuvent combler mon attente. Je ne me fonde que sur les textes de la Bible, les seuls aujourd’hui qui m’éclairent dans ma quête. Je me reproche de ne pas les méditer suffisamment, de ne pas en nourrir ma prière. Peu contemplative par inclination, je n’alimente pas ma foi, je me laisse aisément distraire. »

Dieu l’obsède depuis sa jeunesse, même si elle se reproche de l’oublier constamment.

« Oserai-je écrire Dieu existe en tête d’un ouvrage marqué par son absence, son absence en moi ? Témoigne pourtant de lui ma souffrance : il me manque, il me manque terriblement. »

Le mal, à son avis, prouve Dieu par l’absurde.

« Loin de me détourner de Dieu, le mal m’amène à lui. Je ne saurais lui reprocher le massacre des saints innocents, nous en sommes les auteurs. »


[cette chronique a été écrite en 1995 : depuis, Françoise Verny est décédée]
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Message par pacalou Jeu 20 Déc 2007 - 10:48

Dominique a écrit:

Le mal, à son avis, prouve Dieu par l’absurde.
Françoise Verny

Sauf que pour en être convaincu, il faut avoir une conscience aigue du mal. Dieu n'existerait que pour les pécheurs lucides?

Je me demande depuis longtemps s'il n'y aurait pas autant et plus de moyens d'expliquer Dieu (sinon de le prouver), en pointant ce qui ne serait point (de bon) s'Il n'était pas, qu'en montrant ce qui est, comme Sa création;
Revoir "la vie est belle" de Franck Capra, où l'ange gardien de James Stewart montre à son protégé désespéré à quel point le monde serait moche s'il n'avait pas été là.

l'homme est tellement habitué à son univers qu'il ne sait plus le regarder (c'est ce que font les artistes, tout simplement, enfin, les vrais);

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Message par Fée Violine Mer 10 Déc 2008 - 14:18

Je vous ai déjà parlé de quelques grands hommes, le curé d’Ars, le cardinal Lavigerie. Aujourd’hui un autre géant à la vie bien remplie : saint Jean Bosco. J’ai lu sa vie dans un vieux livre certainement introuvable de nos jours :

Un grand éducateur, st Jean Bosco, 1815-1888,

par le Père A. Auffray, ouvrage couronné par l’Académie française, publié en 1929 et plusieurs fois réédité, à la librairie catholique Emmanuel Vitte.


L’auteur commence par prévenir qu’il a eu trois difficultés : 1° la richesse excessive de la matière qui fait qu’en résumant beaucoup, il a réussi à concentrer son sujet en « seulement » 600 pages (et moi je dois résumer ça en un quart d’heure !) ; 2) l’auteur, prêtre, a été gêné de devoir raconter certaines oppositions farouches de la hiérarchie contre notre saint qui a eu beaucoup à souffrir de certains archevêques plutôt bornés ; 3) la présence considérable du surnaturel dans la vie de don Bosco. « À l’époque de son plus grand triomphe, entre1860 et 1900, le rationalisme a reçu du Ciel trois magnifiques soufflets : le premier à Lourdes, le second à Ars et le troisième à Turin. (…) Un des rapporteurs de la cause (…) disait : «J’ai feuilleté bien des dossiers, mais je n’en ai trouvé aucun qui débordât autant de surnaturel » ; et Pie XI, qui avait connu et approché le saint, déclarait un jour : « Dans cette vie, le surnaturel était devenu presque naturel, et l’extraordinaire ordinaire ». Ces affirmations ne sont pas risquées. Elles s’appuient sur des faits, déposés sous la foi du serment, par des témoins sérieux. En présence de ces phénomènes déconcertants et de ces témoignages passés à tous les cribles, il n’y a qu’à s’incliner, en redisant le mot du grand tragique anglais : « Il y a plus de choses dans le monde que n’en peut expliquer notre philosophie ».

Maintenant, je raconte.

Jean Bosco naquit en 1815 dans une ferme du Piémont, dans une famille de pauvres paysans. Deux ans après, son père mourut. Sa mère, qui était une maîtresse femme, fit marcher la maison avec courage. Cette paysanne illettrée se révéla une éducatrice extraordinaire, veillant à tout avec une douce fermeté. « Elle ne frappait pas ses enfants, mais elle ne leur cédait jamais ». Ses deux fils ne posaient pas de problèmes, mais leur demi-frère, fils d’un premier mariage de M. Bosco, était une grande brute qui donna beaucoup de fil à retordre à la mère, et qui tyrannisa pendant des années ses petits frères, surtout le petit Jean, une personnalité riche de cœur et d’esprit, riche en volonté et en imagination créatrice.

Jean, vers l’âge de neuf ans, décide de devenir prêtre pour s’occuper des enfants pauvres. Il est orphelin de père et il a sous les yeux un modèle d’éducatrice, il souffre aussi de n’avoir affaire qu’à des prêtres froids et distants : toutes ces raisons font un peu comprendre ce qu’il deviendra plus tard.

La mère leur donne une « éducation solide, à la spartiate, qui fit de ces trois enfants de rudes gaillards, ne rechignant jamais devant une corvée un peu rude ». Jean, à neuf ans, apprend à lire lors d’un court séjour chez une tante : il utilisa cette science pour faire la lecture aux gens de son village pendant les longues soirées d’hiver. L’été, il les évangélisait d’une autre façon : le dimanche après-midi il leur offrait des spectacles d’acrobatie et de prestidigitation (car en plus il était très habile) mais avant d’avoir droit au spectacle, les gens devaient réciter avec lui le chapelet et écouter le sermon du matin qu’il avait retenu par cœur et qu’il leur refaisait (sa mémoire et sa force physique ont toujours été phénoménales).

Un bon prêtre remarque son intelligence et sa piété et lui apprend le latin, toute la grammaire latine en trois ou quatre mois ! De 13 à 15 ans il est valet dans une ferme, car son frère aîné s’oppose violemment à ses études, mais il réussira à suivre les cours d’une classe de latin, en étant pensionnaire chez un tailleur : il apprend à coudre, ce qui plus tard lui sera très utile. Il apprendra aussi la confiserie, il est répétiteur, enfin la vie difficile d’un étudiant pauvre et dégourdi. Malgré toutes sortes de difficultés, il arrive quand même à étudier.

Il est si doué que le grand séminaire l’admet gratuitement, ce qui était très rare à une époque où les bourses pour élèves pauvres n’avaient pas encore été inventées. Il a 20 ans quand il entre au grand séminaire. Il y retrouve un ami qui aura sur lui une profonde influence : « Son âme, qui était naturellement impétueuse et violente, devint, au spectacle de la douceur de son ami, la plus calme, la plus pacifique, la plus maîtresse de soi que l’on ait vue ». Mais le jeune Comollo mourut peu d’années après, au séminaire.

Jean Bosco est très heureux au séminaire, à part la froideur des prêtres, qui le fait souffrir autant que dans son enfance. Mais « cette façon de faire eut du moins cet avantage d’allumer plus vite en mon cœur le désir d’arriver vite au sacerdoce pour me mêler aux jeunes gens et les connaître intimement, afin de les aider en toute occurrence à éviter le mal. » C’est un séminariste parfait, obéissant, travailleur (il lit une énorme quantité de livres), bon camarade, d’une piété simple et profonde, boute-en-train mais jamais dissipé, toujours de bonne humeur. Cette maîtrise de soi n’allait pas sans efforts, avec son naturel impétueux. On dit qu’un jour il fit la course avec un lièvre, et devinez qui gagna ? Ce ne fut pas le lièvre !

À 26 ans le voilà prêtre. Il écrit dans un carnet des résolutions qu’il suivra toute sa vie : ne dormir que cinq heures par nuit, manger de tout sans faire d’histoires, ne jamais perdre de temps, ne jamais parler à des femmes sans y être absolument obligé, être toujours charitable et doux, etc.

Devenu prêtre il continue ses études pendant trois ans dans un collège pour prêtres à Turin. Un mois après son arrivée, il rencontre un jeune maçon de 16 ans, orphelin et illettré. Il devient son ami, lui apprend le catéchisme. Le jeune en ramène d’autres, dimanche après dimanche, si bien que quelques mois après ils étaient 80. L’abbé Bosco a besoin d’un local pour abriter son patronage en-dehors des heures de catéchisme qui a lieu à l’église. Le directeur de son collège leur prête la cour du collège pour jouer au ballon et autres jeux, mais quand ses études furent achevées, il fallut trouver autre chose, et le nombre de jeunes augmentait toujours, tous apprentis maçons, orphelins ou de familles à problèmes.

Les voilà 300, puis 400, et toujours pas de local. De plus, la hiérarchie se méfie des grands rêves de don Bosco, on le croit même fou. Finalement il trouve un hangar à louer pour héberger son œuvre naissante. Programme d’une journée de patronage : confessions, messe, collation, catéchisme, sermon, cantiques, et tout l’après-midi jeux de plein air (et don Bosco joue avec eux).

Toutes ces épreuves l’ont épuisé : il tombe gravement malade, il va mourir, mais ses enfants désespérés prient tellement qu’il se rétablit. Sa mère vient habiter avec lui. À peine guéri, il se remet au travail et ouvre un cours du soir pour apprendre à lire à ses adolescents, pour qu’ils puissent lire le catéchisme, et ne pas se faire exploiter par leurs patrons. Puis il ajoute à la lecture des cours de maths, dessin, géographie etc., tout ça dans deux petites pièces. Plus tard il en louera d’autres dans la même maison. Les jeunes les plus intelligents font la classe aux autres : recruter les cadres dans le rang sera toujours sa méthode. En 1847 un inspecteur d’académie fut si émerveillé des résultats que don Bosco obtint une subvention.

Les jeunes étaient 600 ou 700, il fallut essaimer dans deux autres quartiers de Turin. Il commence à héberger des orphelins sans logis, toujours apprentis maçons, c’est le début d’un internat. Pour continuer il faut acheter l’immeuble dont ils louent quelques pièces. En cinq minutes il se met d’accord avec le propriétaire. « Naturellement don Bosco n’avait pas le premier écu de cette somme ; mais il s’agissait des enfants, et sa confiance était absolue. Celle de sa mère était de qualité moins forte.

– Mais où vas-tu prendre cet argent ? lui demanda-t-elle. Nous n’avons que des dettes.

– Voyons, mère, si vous en aviez, vous, m’en donneriez-vous ?

- Évidemment.

- Eh bien, pourquoi supposer que le Seigneur, qui est riche, sera moins généreux ?

De fait, la maison fut payée en moins de huit jours ».

Suivent quelques années de pauvreté et de bonheur, une vie de famille simple et chaleureuse. Maman Marguerite Bosco tient la maison, nourrit et habille des dizaines d’enfants. À 65 ans, ce n’est pas une retraite très reposante pour elle.


Dernière édition par Fée Violine le Mer 10 Déc 2008 - 14:22, édité 1 fois
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Message par Fée Violine Mer 10 Déc 2008 - 14:19

(suite)

Le hangar du début, qui servait de chapelle, est trop petit. Don Bosco décide de construire une église. Il recueille des dons et organise des loteries, et en 1852 voilà l’église. En 1857 il construit un vaste internat pour 150 internes dont les uns sont maçons et d’autres suivent des études sur place. Don Bosco ouvre aussi des ateliers professionnels sur place : couture, cordonnerie, menuiserie, reliure, imprimerie, serrurerie etc., dans un but pratique (pour usage personnel) et aussi dans un but pédagogique (pour soustraire les jeunes aux mauvaises influences de la société). « Je me suis laissé mener par les événements », disait don Bosco à ceux qui admiraient ses multiples créations. Certes, mais c’est aussi un homme d’action qui plie les choses à son idée.

Sa mère meurt en 1856. Dès lors il confiera son œuvre à la Vierge Marie, qui veillera toujours sur elle.

En 1854, une épidémie de choléra se déchaîne sur Turin. Les jeunes de l’Oratoire de don Bosco se dévouent pour soigner les malades pendant trois mois, d’ailleurs aucun jeune n’en mourra.

Don Bosco est moderne. Pour lutter contre les idées opposées aux siennes, il emploie des moyens modernes : il écrit plus de cent livres, tracts, opuscules, almanachs, pièces de théâtre. Il eut tant de succès que ses ennemis essayèrent maintes fois de l’assassiner, mais il était à la fois très fort et très futé, et puis Dieu veillait sur lui avec soin. Je passe les détails mais je vous assure que ça vaut bien un roman d’aventures.

Il inventa aussi, entre autres nouveautés, les colonies de vacances. Il fut mêlé à la politique italienne (Cavour était de ses amis). Il fonda la congrégation salésienne, du nom de saint François de Sales, grand saint savoyard (la Savoie n’est pas loin du Piémont) et saint patron de l’œuvre de don Bosco. Le pape est favorable à cette nouvelle congrégation mais l’archevêque y est opposé. Don Bosco est obligé de faire deux miracles pour désarmer une partie de ses ennemis et débloquer un peu la situation en 1869. Un autre archevêque particulièrement débile ne cesse de lui mettre des bâtons dans les roues. Enfin en 1874 tout est enfin réglé. Quelqu’un a dit : « Pour fonder une congrégation il faut deux choses : de l’argent, et les grâces d’aveuglement qui cachent les difficultés ». Don Bosco lui-même avouait que s’il avait su les difficultés qu’il rencontrerait, il ne se serait jamais lancé dans une pareille entreprise.

Il fonda aussi une congrégation de femmes, pour l’éducation des filles pauvres, les Filles de Marie Auxiliatrice, qui deviendront un ordre important, engagé dans toutes les sortes d’apostolats.

Des laïcs aident les prêtres salésiens débordés par l’ouvrage. On voyait des messieurs du monde venir dans un quartier mal famé pour s’occuper de garçons certes sympathiques mais sales, mal habillés et pas très distingués. Une amie de Mende me disait que son grand-père avait aidé don Bosco à fonder un établissement en France. Parce que l’œuvre de don Bosco s’est répandue en France, en Espagne, en Patagonie, en Chine, partout.

Don Bosco, « le saint Vincent de Paul de l’Italie », était un voyant. « Cet homme avait un regard qui pénétrait dans l’inaccessible ». Pour nous, humains ordinaires, ce monde est séparé de l’autre par un voile opaque. Pour Jean Bosco, non. Il prédisait l’avenir, voyait à distance, lisait dans les consciences, ce qui était bien pratique au confessionnal. Dieu lui parlait souvent en songe et lui indiqua toute sa vie ce qu’il devait faire. Il faisait des miracles couramment, guérisons, multiplications de nourriture et bien d’autres.

Il fréquentait les papes et les ministres. Il charmait tous les enfants parce qu’il les aimait, vivait avec eux, jouait avec eux. Jamais éducateur ne fut adoré comme celui-ci. Il gouvernait les âmes par la bonté, comme faisait sa mère. Il a inventé en pédagogie la méthode préventive, bien meilleure que la méthode répressive. Seul inconvénient : dans la méthode préventive, l’éducateur doit être un saint.

Comme punitions, un regard de don Bosco suffisait à bouleverser les enfants et à changer les cœurs. La discipline régnait dans la liberté et le respect de chacun, il n’y avait rien de compassé ni d’ennuyeux, les offices étaient beaux et courts, avec de la musique, des fleurs, des lumières. Les jeunes faisaient du théâtre. Don Bosco voulait « se faire aimer lui-même pour mieux faire aimer Dieu ». Il était vraiment le bon pasteur.

Il fut le plus grand confesseur de jeunes du siècle, comme le curé d’Ars fut le plus grand confesseur d’adultes. Pendant 46 ans il confessa 10 ou 11 heures par jour. Les confessions étaient brèves car, disait-il, le pénitent veut une ordonnance, pas un sermon !

Ce fin diplomate, ce travailleur forcené, a une intelligence pratique. Il voit grand et il réalise ses rêves. "Dès qu'il avait un sou, il s'engageait pour deux". Il fut toujours pauvre et nourrissait des milliers d’enfants uniquement grâce à sa confiance en Dieu.

[size=12]« En lui tout était ordinaire. Et pourtant il nous aurait menés où il aurait voulu », témoigne un de ses enfants. Ordinaire, c’est vite dit, avec une telle collection de qualités. Mais il était si humble et si joyeux qu’il n’avait pas l’air d’un grand homme, pourtant il subjuguait tout le monde. On ne le voyait pratiquement jamais prier : en réalité il priait sans cesse, il était dans une union à Dieu constante.[/size]

À 72 ans, il mourut, usé par une vie de travail. Deux ans après, l’Église commença l’enquête pour la béatification. Il fut canonisé en 1934.

Voilà, j’espère vous avoir convaincus d’aimer ce grand saint, et vous avoir donné envie de le connaître!:love:
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Message par Invité Mer 10 Déc 2008 - 15:52

Connais-tu l'abbé Favier et l'orphelinat "les Choisinets" dans notre vieux Gévaudan?
S'il n'est pas devenu un "Saint" son histoire est assez extraordinaire.
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Message par Joss Mer 10 Déc 2008 - 16:28

Etonnant, DON BOSCO ! ..... et assez mal connu en France gene ....Si si : j'ai du faire des recherches sur des sites anglo-saxons (traduction GOOGLE) pour compléter la page que je lui ai consacré sur mon blog :
http://leraton-laveuretl-aigle.blogspirit.com/propheties-de-saint-jean-bosco/

mais on a des photos de lui :

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Message par Fée Violine Mer 10 Déc 2008 - 17:44

Errance a écrit:Connais-tu l'abbé Favier et l'orphelinat "les Choisinets" dans notre vieux Gévaudan?
S'il n'est pas devenu un "Saint" son histoire est assez extraordinaire.

non, je ne connais pas.
Je ne connais pas encore tout, en Lozère !

Joss:
je suis étonnée que ce grand saint soit peu connu en France. Faut lui faire de la pub !:love: Moi ce qui me plaît chez lui ce n'est pas tellement ses visions mais ses qualités humaines, et surtout son génie envers les enfants.
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Message par Invité Jeu 11 Déc 2008 - 5:52

"Bosco"
Suis pas un spécialiste, j’ai vaguement le souvenir de ce nom pour des associations de l’enfance handicapée en région parisienne.
Impossible de me remémorer plus de détail….Désolé. :ouf:


Pour l'orphelinat "les Choisinets" Madame la Fée, c'est une belle histoire, qui n'a pas bien fini, l'orphelinat à brûlé au début du XXe siècle bien après la disparition de l'abbé. Une association vient de racheter les murs…

je cherche dans mon foutoir une photo.....
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Message par Invité Jeu 11 Déc 2008 - 6:00

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Message par Invité Jeu 11 Déc 2008 - 6:01

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Message par Fée Violine Jeu 11 Déc 2008 - 9:36

oui, je me souviens que quelqu'un (peut-être toi?) avait mis ces photos sur LOL et qu'il avait été question de cet orphelinat.
St Jean Bosco a été un pionnier en matière d'éducation. Lui et Maria Montessori sont les deux génies italiens de la pédagogie. Mais certaines écoles tenues par les Salésiens ont perdu l'esprit du fondateur, ainsi Michel del Castillo, écrivain bien connu des Mendois (tiens, je mettrai un sujet sur le camp de Rieucros), a vécu dans une école salésienne à Barcelone quelques années abominables, entre 12 et 15 ans, c'était une espèce de bagne avec des frères sadiques, il a fini par s'évader et se réfugier à la police. St Jean Bosco n'avait pas prévu ça! Il est vrai que l'Espagne entre 1945 et 1948...What a Face
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Message par Invité Jeu 11 Déc 2008 - 10:10

oui, aussi sur off line.
si j'ose l'écrire, peut-être un résumé de l'histoire de l'orphelinat....à suivre...
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