Salammbô

Ma maison est remplie de livres, il y en a dans toutes les pièces, dans des bibliothèques, sur les tables, par terre, dans des cartons, en vrac...
J'en achète, on m'en donne, j'en trouve un peu partout.
Pour endiguer l'invasion, j'en donne, j'en vends, j'en prête, j'en jette (quand ils sont vraiment nuls).
Quand mon fils accapare l'ordinateur, je m'installe à côté et je pioche un livre au hasard dans une caisse où j'ai rassemblé des livres que je vais proposer à la bouquinerie.

Je viens ainsi de lire en peu de temps :
Mademoiselle de la Seiglière, de Jules Sandeau (c'est à lui que George Sand a emprunté son pseudo), un joli roman;
Un mousse de Surcouf, de Pierre Maël (petit roman patriotique pour enfants. Démodé);
Les enfants du loup, de Jane Yolen (la belle histoire de deux enfants-loups en Inde. Pour enfants);
Le retour au pays natal, de Thomas Hardy (roman anglais, c'est pas mal) ;
Les huit coups de l'horloge, de Maurice Leblanc (un Arsène Lupin que je ne connaissais pas);
15 épopées de chevalerie, de Diélette (des histoires de chevaliers, le roi Arthur, Huon de Bordeaux, Mélusine, Lancelot etc. Ça m'a beaucoup plu);
Le Christ, Marie et l'Eglise, du père Congar (de la théologie, un petit livre passionnant);
Les nouveaux infidèles, de Patrick de Ruffay (un livre qui répond au roman Les nouveaux prêtres de Michel de Saint-Pierre, et qui explique les bases politiques de l'intégrisme. Ça m'a beaucoup intéressée car j'ignorais tout cela).
J'ai aussi lu trois livres sur Padre Pio ; feuilleté Le plus petit abîme de Jean Sulivan, que je croyais ennuyeux mais qui décrit un voyage en Inde où il a notamment rencontré le Père Le Saux, dont je suis fan ; essayé de lire Le jardin d'Epicure d'Anatole France (vraiment ennuyeux, celui-là, par contre) ; essayé de lire un roman d'Henri Troyat, mais au bout d'une page j'ai laissé tomber car dépourvu d'intérêt.
Et puis je viens de lire Salammbô, de Flaubert.

Je m'imaginais que Flaubert était ennuyeux. C'est peut-être vrai pour L'éducation sentimentale ou Bouvard et Pécuchet, mais certainement pas pour les Trois contes, que ma mère considère comme le summum de la perfection littéraire, et en tout cas, j'ai dévoré Salammbô.

C'est un roman extrêmement visuel, avec très peu de psychologie, beaucoup d'action, et la description minutieuse de tous les détails : c'est quasiment un film d'action. C'est tellement bien décrit que j'ai eu l'impression d'avoir vu un film, sans les inconvénients car, comme l'histoire est très violente, je préfère ne pas voir réellement tout cela !

Le style est un régal.
Quelques extraits :

"La nuit était pleine de silence, et le ciel avait une hauteur démesurée. Des bouquets d'arbres débordaient, sur les longues lignes des murs. La ville entière dormait. Les feux des avant-postes brillaient comme des étoiles perdues".

"Ils avaient traversé le désert en buvant aux puits saumâtres maçonnés avec des ossements de chameau ; les Zuaèces, couverts de plumes d'autruches, étaient venus sur des quadriges ; les Garamantes, masqués d'un voile noir, assis en arrière sur leurs cavales peintes ; (...) Il y avait des Ammoniens aux membres ridés par l'eau chaude des fontaines ; des Atarantes, qui maudissent le soleil ; des Troglodytes, qui enterrent en riant leurs morts sous des branches d'arbres ; et les hideux Auséens, qui mangent des sauterelles ; les Achyrmachides, qui mangent des poux, et les Gysantes, peints de vermillon, qui mangent des singes.
(...) puis marchaient les Gétules dans des cuirasses en peau de serpent ; puis les Pharusiens, portant de hautes couronnes faites de cire et de résine ; et les Caunes, les Macares, les Tillabares, chacun tenant deux javelots et un bouclier rond en cuir d'hippopotame.
(...) Puis, derrière les Numides, les Maurusiens et les Gétules, se pressaient les hommes jaunâtres répandus au-delà de Taggir dans les forêts de cèdres. Des carquois en poils de chat leur battaient sur les épaules, et ils menaient en laisse des chiens énormes, aussi hauts que des ânes, et qui n'aboyaient pas."

"Enfin il arriva contre le lit suspendu, près d'un escabeau d'ébène servant à y monter.
Mais la lumière s'arrêtait au bord; - et l'ombre, telle qu'un grand rideau, ne découvrait qu'un angle du matelas rouge avec le bout d'un petit pied nu posant sur la cheville. Alors Mâtho tira la lampe, tout doucement.
Elle dormait la joue dans une main et l'autre bras déplié. Les anneaux de sa chevelure se répandaient autour d'elle si abondamment qu'elle paraissait couchée sur des plumes noires, et sa large tunique blanche se courbait en molles draperies, jusqu'à ses pieds, suivant les inflexions de sa taille. On apercevait un peu ses yeux, sous ses paupières entre-closes. Les courtines, perpendiculairement tendues, l'enveloppaient d'une atmosphère bleuâtre, et le mouvement de sa respiration, en se communiquant aux cordes, semblait la balancer dans l'air. Un long moustique bourdonnait."

L'action se passe à Carthage, vers 250 avant JC. C'est l'histoire de la guerre entre Carthage et les Mercenaires. Salammbô est la fille d'Hamilcar, le grand homme politique et général carthaginois. On aperçoit dans le roman le petit Hannibal, fils d'Hamilcar.
Flaubert a dû passer un temps énorme à chercher la documentation pour rendre son roman aussi réaliste que possible. On a l'impression d'être à Carthage !

Ennnuyeux, Bouvard et Pécuchet ?

particulièrement drole au contraire.

c'est que j'ai lu ça quand j'étais gamine, et ça m'avait barbée. J'aurais sûrement une autre opinion maintenant !
Et comment trouves-tu Salammbô ?

J'avais beaucoup aimé... mais je ne l'ai pas relu depuis le bac....
Mais j'en garde un bon souvenir.

A voir: l'adaptation en bande dessinée par Philippe Druillet...

d'après les images, ça a l'air assez loin de l'histoire d'origine !

Absolument pas, mais c'est très certainement loin de l'image que l'on en a d'où mon invitation à découvrir l'interprétation de cet oeuvre par un des fleurons du huitième art.

L'idée qu'on en a vient du texte lui-même, puisque, comme j'ai expliqué, ce texte est très visuel, il est constitué essentiellement de descriptions de détails, comment les gens sont habillés, quels objets ils utilisent, etc.
Donc d'après ce que je vois, c'est un univers différent de celui de Flaubert.
Mais au niveau de l'action, c'est peut-être fidèle au livre.

Fée Violine a écrit:c'est que j'ai lu ça quand j'étais gamine, et ça m'avait barbée. J'aurais sûrement une autre opinion maintenant !
Et comment trouves-tu Salammbô ?

Bonjour...

J'ai lu Salammbô qd j'avais 20 ans environ; ça m'intéressait comme m'intéressaient les péplums hollywoodiens; ça m'avait plutôt barbé cependant, car je trouvais que les -admirables- descriptions ralentissaint l'action... et nuisait à la compréhension de l'intrigue: de fait je ne me souveins guère de celle-ci: liaison entre Salammbô et Matho, qui est mercenaire?
Curieusement, je n'ai pas eu la même impression en lisant 20 000 lieues sous les mers, qui contient des tonnes de descriptions des flore et faune sous-marines!
Faudrait que je relise...

oui, je pense qu'il y a des livres qu'il ne faut pas lire trop jeune, et qu'on apprécie mieux plus tard. L'action dans "Salammbô" étant particulièrement horrible (et malheureusement historique), ce qui la retarde me semble plutôt une bonne chose !
J'ai lu assez récemment "20000 lieues sous les mers", et je dois dire que j'ai sauté les pages d'énumérations de poissons, qui n'apportent rien au récit, c'est juste une parenthèse d'érudition.
Les descriptions de Flaubert ne sont pas du même ordre, il me semble. Ce ne sont pas des descriptions hors de l'action, ce qu'il décrit minutieusement ce sont les personnages et les lieux de l'action, ce qui permet de les visualiser en même temps qu'ils agissent. C'est pourquoi je disais que j'avais l'impression d'avoir vu un film. Si Flaubert vivait de nos jours, il ferait sans doute du cinéma !

Réflexion faite, je crois bien avoir aussi sauté les "poissons" ds 20 000 lieues... Mais je ne crois pas que ce soit seulement de l'érudition: pas plus que Flaubert: là-aussi, cela fait visualiser (par les yeux du professeur Aronax); aujourd'hui, après Cousteau et tous les reportages télévisés sur les flore et faune marines, ça a moins d'intérêt, mais en 1870, ça devait paraitre au lecteur aussi peu ordinaire que les images de la première escapade sur la Lune...

Fée Violine a écrit:Si Flaubert vivait de nos jours, il ferait sans doute du cinéma !

Non, il écrirait des livres. J'écris des scénars, c'est nettement moins littéraire: c'est précis mais sur un plan purement technique afin que chaque membre de l'équipe de tournage sache ce qu'on attend d'elle, du réa au décorateur en passant par le chef op, l'ingé-son, etc. Quant à produire un film, c'est tout sauf artistique.

il serait peut-être réalisateur ?
je ne pensais pas tellement au scénario.

C'est un métier très ingrat! Les réalisateurs ont de temps en temps la possibilité de travailler sur des projets qui leur tiennent à coeur, mais la plupart du temps, hormis pour les grands noms, c'est de l'alimentaire pur et simple. Le cinéma est une industrie du divertissement avant d'être un art si jamais il en est un.

en fait, je t'ai contredit par principe, mais je suis de ton avis. Flaubert écrirait sûrement des livres : étant donné qu'avec des mots on peut créer tous les univers possibles et imaginables, et que Flaubert excellait dans cet art, pourquoi se compliquer la vie en cherchant d'autres moyens d'expression ?