MARTHE ET MARIE


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Tristes pontiques

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Message par Fée Violine Sam 15 Nov 2008 - 15:43

Entendu à la radio Marie Darrieussecq parler de sa traduction d'Ovide. Ça a l'air drôlement bien, ça m'a donné envie de le lire ! Elle a une vision très moderne de cette expérience d'un homme privé de son univers habituel et qui n'a plus que l'écriture.

Tristes Pontiques
Traduit du latin par Marie Darrieussecq

Ovide

Ovide est surtout connu pour son Art d’aimer et ses Métamorphoses.
En l’an 8, pour une raison qui reste énigmatique, il déplaît à l’empereur. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il a « vu quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir ». Auguste lui fait grâce de la vie, mais l’exile au bout du monde connu, sur le Pont-Euxin, à l’actuelle frontière de la Roumanie et de l’Ukraine, dans le delta du Danube. Là-bas c’est le froid, la guerre, et les barbares. Plus loin, personne ne sait ce qu’il y a : des marécages, des oiseaux migrateurs... Le « bout du monde » n’est pas une vaine expression.

Amoureux de sa femme, amoureux de Rome et de sa vie mondaine, Ovide se retrouve donc seul, isolé au milieu des Gètes vêtus de peaux de bête. « Le barbare, ici, c’est moi » : personne ne parle sa langue. Pendant huit ans, il écrit des lettres à Rome, recueillies en deux volumes : les Tristes, et les Pontiques. Elles mettent six mois à faire le voyage, comme la réponse, quand il y a en a. Ovide meurt dans ce « Pays du Pont, pays de galop et d’errance ». On n’a jamais retrouvé sa tombe.

Restent une centaine de lettres dont existent de nombreuses traductions, mais Marie Darrieussecq a voulu essayer de leur rendre leur flux poétique, en restant fidèle au texte, mais en essayant aussi de réinventer un rythme.

Cela fait deux mille ans cette année qu’Ovide a été banni...

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La presse

Marie Darrieussecq saisit l'intensité prémonitoire de cette posture. Elle est touchée moins par la personne de l'exilé aigri que par la tragique figure du poète maudit qui s'en dégage. Ovide inspirera les déportés et bannis: Les Regrets de Du Bellay, la Terre d'exil de Pavese, le goulag de Mandelstam, tous les déchus qui ont surnagé en écrivant. Pour restituer la dolente humanité de ces pages, Marie Darrieussecq choisit de faire "parler" Ovide : "Je crie mes funérailles aux bords des fleuves gètes." Rompant avec toute pesanteur classique, elle traduit les distiques latins en vers blancs, des alexandrins souvent, sans ponctuer, dans une langue modernisée, presque banale, simple et fluide. Elle "délatinise". Elle ménage des pauses, pour rythmer la lecture. Elle détourne ou contourne les figures rhétoriques figées ou emphatiques que le public d'aujourd'hui ne saisirait pas. Elle coupe court quand elle s'ennuie. Au fond, elle se met à la place d'un lecteur contemporain d'Ovide, recevant à Rome sa énième lamentation et allant à l'anecdote ou à la formule ingénieuse, sautant les pleurnicheries et les clichés. On a l'impression qu'Ovide s'appuie sur notre épaule: on sent son souffle, il nous murmure à l'oreille, comme un proche, comme un frère. "Ma voix, ce sont mes lettres." La nostalgie redevient ce qu'elle était.

"Ma plainte débordera sur l'univers entier/et débordera les frontières du temps", car "la gloire ne meurt pas sur un tas de fagots", escomptait Ovide. En restaurant sa voix usée, Marie Darrieussecq renoue avec l'essence même de la littérature : ranimer une rumeur humaine dont la vérité est toujours recommencée.

Xavier Darcos, L'Express, 23/10/08

Octobre 2008
432 pages, 25 €
ISBN : 978-284682-282-4

© éditions P.O.L, 1999.
33, rue Saint-André-des-Arts 75006 Paris tél. : 01 43 54 21 20 fax : 01 43 54 11 31


Dernière édition par Fée Violine le Jeu 26 Mai 2011 - 18:07, édité 1 fois
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Message par Fée Violine Sam 15 Nov 2008 - 16:10

I

petit livre
hélas
va sans moi dans la ville où je suis interdit
va tout simple
sans ornements savants
comme il sied aux exilés
un habit de tous les jours
les déshérités ne portent pas la pourpre
le deuil ne se fait pas en rouge
pas de signet d’ivoire pas de titre au minium
pas de parchemin enduit d’huile de cèdre
c’est pour les petits livres heureux
toi
mon pauvre recueil
tu portes ma misère et tu portes mon deuil
va-t’en échevelé mal poli tout barbu
car tu n’es pas de ceux dont les aspérités
sont lissées à la pierre ponce
et n’aie pas honte de tes taches
ce sont mes larmes
va
salue pour moi les lieux que j’aime
tes pieds me porteront à leur rythme dans Rome
si quelqu’un là-bas dans la foule
pense encore à moi
si par hasard il reste encore quelqu’un
pour se demander ce que je deviens
tu lui diras que je vis
mais sans vie
l’existence m’a été laissée oui
magnanimement
si on te pose encore des questions
donne-toi à lire
c’est tout
sois prudent
pas un mot de trop
le lecteur excité par ma mauvaise cause
voudra en savoir plus sur mes crimes
la foule me huera en ennemi public
ne réponds pas malgré les calomnies mordantes
plaider est rarement l’antidote au venin
trouveras-tu quelqu’un pour pleurer mon absence
les visages penchés sur toi sont-ils mouillés
y aura-t-il un lecteur qui souhaitera tout bas
(par peur des malveillants)
que César adouci allège un peu ma peine
ce lecteur-là
qui veut mon bonheur
qu’il soit heureux
que sa prière soit entendue
que la colère du Prince s’apaise
qu’on m’autorise à mourir chez moi
on te critiquera sans doute
mon livre
on dira que tu es en dessous de mon génie
il faut voir où j’écris
on écrit dans le calme et la sérénité
un malheur a soudain couvert ma vie de nuages
ballotté par la mer les vents et la tempête
j’ai dans la gorge un glaive qui se plante sans fin
le critique impartial réprouvera mon style
j’aimerais voir Homère à bord de ce bateau
son génie prendrait l’eau
du temps de mon bonheur
je recherchais la gloire
me faire un nom tout était là
mon talent me fut fatal
c’est la poésie qui m’a exilé
je ne la hais pas
ce serait pire
va mon livre
vois Rome pour moi
contemple-la
dieux
je voudrais être mon livre
ne crains pas de passer inaperçu
dans cette grande ville
même sans titre
ton style n’est qu’à toi
voudrais-tu te cacher on te reconnaîtrait
procède cependant avec quelque mystère
mes poèmes n’ont plus la faveur d’autrefois
si c’est mon nom qui effraie
dis que je ne parle plus d’amour
mais de peine
ne crois pas que je vais t’adresser à César
qu’on m’excuse là-haut dans l’auguste Palais
mais la foudre est tombée de ce séjour des dieux
et j’ai beau en savoir la douceur infinie
je suis comme la colombe
qui a déjà senti les serres de l’épervier
je tremble
je n’ose plus lever la tête vers le ciel
n’attire pas d’autres éclairs mon livre
ne réveille pas Sa colère
essaie d’entrer dans Sa bibliothèque
par le biais d’humbles lecteurs
et tu verras tes frères rangés avec méthode
mon nom en grandes lettres et leur titre au grand jour
eux sur qui j’ai veillé tard la nuit tôt le jour
sauf trois d’entre eux cachés dans un recoin obscur
trois d’entre eux qui ont trait à l’amour
ce que tout le monde connaît pourtant
et fait
fuis-les ces parricides
assassins de leur père comme le fut OEdipe
n’aime aucun de mes livres qui prônent l’art d’aimer
et les quinze volumes de mes Métamorphoses
j’étais en train de les écrire
et c’était l’heure de mon enterrement
c’était moi leur dernier chapitre
j’ai connu un tel changement
va
pauvre livre
je ne veux plus te retarder
si tu devais porter tout ce que j’ai en tête
tu pèserais trop lourd pour le voyage
la route est longue
moi je dois demeurer au bout du monde
dans une terre loin de ma terre
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Message par Fée Violine Jeu 24 Mar 2011 - 22:24

Marie Darrieussecq parle de son livre:
https://www.youtube.com/watch?v=poUfeQCrHbM
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