Vie du petit saint Placide

Je recopie un fil que j'avais mis sur DA :
"Vie du petit saint Placide", de soeur Geneviève Gallois, osb, une sorte de BD théologique, ou plutôt spirituelle, un livre délicieux, que Marcelle Auclair, dans la préface, appelle "un exquis traité d'oraison par l'image".
Evidemment, je ne peux pas vous mettre les images (il y en a 104, une par page), mais les textes en eux-mêmes sont des trésors spirituels.
Je commence :

Comment le petit Placide apprit à parler.
Malgré les supplications et menaces de Maman et Nounou, il ne put dire autre chose que : "oui... oui...".

Comment le petit Placide vint au monastère.
Quand il eut deux ans, ses parents l'amenèrent au monastère, un peu inquiets toutefois, à cause de son infirmité de langage. Car il faut être bachelier latin-langues pour entrer au noviciat.

Comment les reçut le Révérendissime Père Dom saint Benoît.
Il leur dit : "Quand bien même il ne saurait, en toute sa vie, dire autre chose que "Oui", eh bien, sufficit etiam bene [ça suffit bien].

Comment le petit Placide, ayant aussitôt reçu le saint habit, s'attacha si fort à Dieu et à sa famille monastique, que son coeur fut tout entier aspiré, comme par un siphon, et qu'il n'en resta rien pour le siècle.

Comment Nounou ne comprit ni n'accepta.
Elle eut un gros chagrin, tempêtueux et révolté, et son lait tourna.
Avis à ceux qui ne comprennent ni n'acceptent les saintes exigences de la virginité du coeur.

Comment le petit Placide commence sa journée.
- J'ai surgi et je me suis réveillé, je suis debout et je commence avec le jour qui commence.
Mon Père, qui m'avez engendré avant l'aurore, je me place en Votre présence.

Comment le petit Placide prend les journées pluvieuses de l'existence.
Il pleut, pleut, bergère, ça défrise tes moutons...
Oui, mais petit Placide n'a rien à défriser : il est tondu.

Comment le petit Placide connut l'épreuve.
Il connut la question des portes et fenêtres (type de l'insoluble) [sur le premier dessin, une pancarte est accrochée à la fenêtre fermée : "Prière de tenir cette fenêtre fermée". Sur le 2ème, une autre pancarte est accrochée à la fenêtre ouverte : "Prière instante de bien vouloir avoir la charité de laisser cette fenêtre ouverte"].
Douloureusement sidéré, le petit Placide pria :
"Mon Dieu, où est la solution ?
- Il n'y en a pas, mon fils, et je ne veux pas qu'il y en ait, et cela pour 2 raisons : 1° pour que se manifeste la catégorie des maniaques ; 2° pour exercer les bons et les faire monter plus haut. Celui-là ne chope plus sur cette bêtise, qui a fait le sursum corda".

Comment petit Placide est heureux :
...car, à mesure que l'on avance dans la bonne vie et dans la foi, le coeur se dilate et l'on se met à courir la voie des préceptes de Dieu avec une ineffable douceur d'amour. Ste Règle.
Le cul-de-jatte, issu du péché originel, saute maintenant sur ses pieds. Tout le cassé est rabouté ; tout le démanché est remboité. Petit Placide retrouve l'intégrité de son être ; une joie immense le soulève ; il bondit dans sa cellule. Ambulabam in latitudinem, torrente voluptatis potabis eos [je me promenais en largeur, dans un torrent de volupté tu les abreuveras]

Mais son voisin, le frère Palenvie, entendit le bruit, et alla moucharder :
Tout incurvé et rampant, tout gluant et tartufié, il dit :
"Mon Père, je suis obligé... ma conscience m'oblige - selon les Constitutions ...m'oblige à vous dire ce que fait mon voisin, dont je tairai le nom, par charité..."

Comment le petit Placide fit profession.
Une aurore se leva, où petit Placide a dit : Promitto in perpetuum. Et ensuite : Suscipe. Et ensuite, il se prosterna pour les litanies. Il se laissa tomber sur le tapis, comme une boule errante qui trouve enfin son trou. Il n'y avait plus de petit Placide : il y avait un atome noyé en Dieu-océan-de-joie. C'est fait, et c'est irrévocable. L'Unique chose convoitée, je l'ai ; et qui me l'ôtera ? Que le monde s'écroule. Qu'importe tout !

Comment le petit Placide eut une révélation extraordinaire :
Il vit une figure drapée de recueillement. Parlant, elle parla, et dit :
"Sache, ô Placide, que la vie intérieure, c'est une vie qui est intérieure".
Et elle disparut.
Comment le petit Placide courut avertir le Père Maître de la grande révélation qui allait bouleverser tous les monastères, et la chrétienté entière. Peut-être faut-il aviser notre Saint Père le Pape ?

Comment vint le voir sa tante, la soeur Léocadie-des-chats :
"Moumoune chouchou mimi coco chéri. Qu'est-ce qu'il a mangé le coco ? N'a mangé du bifteck, des petits pois et du fro...
- Mais qu'est-ce que c'est que ça ?
- Neveu, tu es bien jeanjean si tu crois qu'on peut passer sa vie à aimer Dieu tout seul ! Ça manque de sauce...Alors nous comblons les vides du coeur...
- Dehors, adultère ! Remplir de chats (et de quoi encore) un coeur solennellement consacré à Dieu ! Avoir quitté tous les devoirs du siècle, soi-disant pour l'acte unique d'amour de Dieu, et être dégringolée à l'amour des chats ! Tu es le dernier déchet que la terre puisse porter".

Comment vint le voir sa petite soeur Flavie :
"Bonjour Flavette. Comment va papa, maman, nounou, minet ?"
Et il badina avec elle toute la journée.
Mais Flavie fut tellement saisie par la sainteté qui rayonnait du petit Placide, que, enflammée par la contagion de l'Amour divin, elle prit le voile chez Madame l'Abbesse sainte Scholastique.
Très surpris, petit Placide en parla au Père Maître.
"Je ne lui ai pourtant pas dit un seul mot sur Dieu.
- Mon fils, le vrai apostolat ce n'est pas de parler, c'est d' être. Il y a en ce moment une mode d'apostolat parlote-bougeote. Notre apostolat à nous, c'est "Sainteté". "Toute âme qui s'élève, élève le monde". Faire son petit possible pour se sanctifier et laisser le reste à Dieu.

Comment le petit Placide reçut des visiteurs du monde païen :
-" Alors, qu'est-ce que vous faites toute la journée ?
- Eh bien ! nous puisons et nous buvons avec joie aux fontaines du Sauveur".
Etonnement.
- "Eh oui ! Boire et manger Dieu toute la journée, c'est la vie monastique".
Stupeur.
- "Ça dépasse vos orgies, hein ? C'est ici le royaume des bienheureux".

Petit Placide essaie de dénombrer les prescriptions du Cérémonial et de se les fourrer dans la tête. Il soupire.
- "Pas un moment de tranquillité. Voyons, est-ce que je tiens bien mes mains, mes pieds ? N'y a-t-il pas quelqu'un ou quelque chose à saluer ? Et au choeur, c'est complet ! Quelle valse ! Tourner, virer, s'incliner, c'est tuant", etc...

Or, il devient cérémoniaire, et il comprit :
Le Cérémonial fait partie de ce système d'ascèse qui prend toute la vie, et est la transposition, en l'élément humain, du rythme de vie qui est en Dieu.
Embrassant ce rythme vital, on s'agrège au Corps Mystique du Christ.
Au choeur, le Cérémonial fait partie intégrante du culte ; l'Office n'est pas une méditation privatim [en privé]; c'est l'offrande conventuelle, avec le corps et avec l'âme, du sacrifice de louange.

Comment le monde et petit Placide voient des choses différentes.
Le monde voit le mur de clôture d'une sombre prison.
Le petit Placide voit, dans ladite prison, une soupape clarescente, ouverte ad astra [vers les astres], et par où vient le parfum de Dieu.

Qu'est-ce que la vie monastique pour le petit Placide ?
C'est une bouillie de volupté dans quoi il est immergé, parce que c'est Dieu en nourriture.
- O Dieu ! je n'ai pas la bouche assez large pour avaler tout ça.
- Eh bien, laisse-toi imbiber comme une éponge qui boit par tous ses pores.



Petit Placide suit la voie royale de l'observance régulière.
Notre Seigneur marche devant. La communauté suit, du même pas, ni plus ni moins vite ; allant au même endroit, tous les jours, à la même heure. Que c'est beau !
Vous riez : "Pas difficile" dites-vous.
Eh bien, venez-y voir, mon ami !

Comment s'aimaient le Révérendissime Père St Benoît et le petit Placide :
Ô mon bienheureux Père ! le plus beau cèdre des jardins de l'Eglise, rempli de l'esprit de tous les justes !
Ô Placide ! petite gemme de Paradis. Petit morceau de lumière qui a débordé les rampes de l'Eden pour en choir entre mes mains ! Voilà comment sont mes vrais fils.

Le petit Placide regarde, de sa cellule, les bâtiments abbatiaux enroulés autour du cloître et scellés entre eux par l'Eglise, comme une gemme ferme un anneau. Ces murs parlent le mode de vie qui se doit mener là. Ils informent les vies qui se coulent en leurs flancs comme en un moule. Vies saisies par une discipline qui, de tous côtés, les converge vers l'Eglise. Unité de la vie.
L'abbaye est un monde, une entité. Son centre est au milieu d'elle-même. Mr de la Palice l'a peut-être dit; et pourtant !...vérité peu connue.
A ceux qui n'aiment pas, Dieu ne se livre pas ; ils sont saisis alors d'une force centrifuge qui les précipite hors clôture : ils n'y sont plus que par les pieds. Ils tournent, tournent comme toupie, cherchant dans le créé ce qu'ils ne cherchent pas en Dieu, se repaissant de la boue d'eux-mêmes, et s'adorant eux-mêmes jusqu'à la folie.
Mais petit Placide sait, et beaucoup d'autres, qu'il y a, au coeur de l'abbaye, une source de sève nourricière.
Qu'est ce puits, sinon le sacrement de cette Chose cachée ? Enchâssé dans la ligne menue des arcades, qui lui font un collier de perles, il susurre : Si quis sitit, veniat ad me et bibat [Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive].
Petit Placide savait comment on puise : par l'observance amoureusement gardée : la liturgie, l'oraison, l'attention à la parole secrète que Dieu lui parlait, le travail. Le oui oui qu'il disait à tout ce que Dieu disposait pour lui, la pluie et le beau temps. Il disait : ce sont des visages de Dieu. Et il tendait son front au baiser.
Et il entra ainsi comme dans une forêt aux voluptés insoupçonnées, aux fraîcheurs, aux parfums ensorcelants. Et, tout enivré, il enfouit son coeur vierge dans le coeur vierge de l'abbaye, pour jamais.
Et il était là, lui, un pauvre petit Placide de rien du tout, et à quel titre ?
Tout écrasé de bonheur, le coeur tout délayé dans la gratitude, il pleura.

Comment priait le petit Placide.
- Seigneur, enseignez-moi...
- Mon fils, prier, c'est passer ta vie à passer dans Ma Vie.

L'oraison de petit Placide.
Que de fêtes pour moi en chacun des Mystères du Christ !
Leur résumé à tous, c'est ma perfection, ma restauration, mon retour à l'innocence du premier Adam.
Il me fait Dieu. Que de fêtes pour moi dans chacun des événements de sa vie. Quel mystère en ma vie intérieure ! (St Grégoire de Nazianze)

Ce qu'est l'office pour petit Placide.
"Chanter sa vie, et vivre son chant".
Qu'est-ce que ce chant ? et qu'est-ce que cette vie qu'il nous révèle ? Qui est donc Celui à qui nous parlons en de tels termes ? Dans quels rapports sommes-nous donc avec Lui ?
Petit Placide se trouvait établi dans sa vraie situation devant Dieu.
La liturgie lui faisait dire ce qu'il n'aurait jamais osé dire. Sa parole façonnait sa pensée, et sa pensée façonnait son être.
Donc, la liturgie tombait sur lui comme un moule, et lorsqu'elle l'avait transformé, elle remontait à Dieu comme l'expression de son Être à lui, petit Placide.

Petit Placide se plonge dans les divins mystères ; il s'en revêt comme d'une chape qui recouvre son humanité infirma et sauciata [faible et blessée]. Et les anges le servent, voyant en lui l'image du Fils de Dieu.


Ce qu'est le recueillement pour Petit Placide.
Il tient la tête bien droite, et les yeux bien ouverts. Alors, comment peut-il être recueilli s'il n'a pas le torticolis et les yeux clos ? Voici : il a en lui le mystère de Dieu. Gouffre sans fond. Tout son être est attiré par cette présence impérieuse, absorbé peu à peu, engouffré dans le gouffre. Il est enveloppé de Dieu comme d'un imperméable qui l'isole de ce que le monde extérieur a de nocif. Et il traverse la vie, vierge de tous les contacts.

Qu'est-ce que la messe pour le Petit Placide ?
Le ramassé de tout son être, le noeud de toutes ses énergies, agrégé à l'humanité de Notre Seigneur pour l'offrande à Dieu, qui est l'acte unique de la vie "et nunc et semper".

La messe est finie.
Comment peut être fini cet acte qui constitue toute la vie et qui est éternel ? Petit Placide a réfléchi : Dieu, en descendant in nobis, s'est soumis à notre condition de vie : à la loi du temps, à la multiplicité de notre nature et à la liberté de notre volonté.
L'offrande de l'Agneau qui efface les péchés du monde dure une heure de temps. la Rédemption nous est communiquée, à condition que nous disions le "oui" incessant. Ici commence une autre forme de la messe. On ôte sa coule.

Il y a deux puissances dans la volonté :
l'appétit concupiscible qui convoite un bien ; et l'appétit irascible qui lutte pour avoir ce bien.
Bons serviteurs et mauvais maîtres. Désaxés, depuis le péché originel, ils se précipitent à la suite de leurs convoitises ; d'où germent toutes les guerres, extérieures, civiles, domestiques, et la révolte de la chair contre l'Esprit, et toutes les abominations que la Terre offre à nos yeux.
La discipline monastique tend à remettre l'ordre en ceux qui se livrent à elle. Petit Placide s'est livré sans réserve, et il s'est vaincu. O spectacle plus beau que tous les firmaments ! Il tient en bride les deux appétits ; il les attelle au char de sa vie spirituelle : l'un convoitant Dieu, l'autre luttant pour avoir Dieu.

Petit Placide délie ses énergies : Combative et Absolue.
"Allez à la rencontre des mille volontés de Dieu pour les embrasser intimement et vous perdre en elles. Que si la chair et le démon vous font obstacle, passez-les au fil de l'épée".
Voilà ce que c'est que d'accomplir et parfaire la consécration et appartenance au Dieu Souverain. Voilà ce qu'est la pénitence : l'amour qui se débarrasse de ce qui le gêne. Donc, qu'on ne vienne pas nous dire que nous menons une vie de pénitence pour expier les péchés du monde, et pour éviter la guerre, et pour ci et pour ça. Nous menons une vie d'amour, au moyen de la pénitence, sans autre raison que l'amour, qui a sa raison en soi.
Petit Placide recommanda à Combative et Absolue :
"Dans la conquête de la Terre Promise, qui est l'intimité avec Dieu, ayez soin d'exterminer les à-côtés, les Jébuséens, les Hettéens. Pas de partage : Ut nullum praeter Eum amatorem admittam [Que je n'admette aucun amant sauf Lui]".

Petit Placide, voyant que le combat chauffait, délia Excessive :
"Va, et agis selon le dynamisme que Dieu t'a donné et sans regarder autour de toi, sans écouter les partisans des moyens termes.
Et souviens-toi que pour taper dans le blanc, il faut viser plus haut."

L'une des volontés de Dieu : LE TRAVAIL.
1° Obéissance au commandement : Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front.
2° La nécessité : Qui ne travaille pas ne mange pas.
3° Le travail canalise, dans l'obéissance, les énergies désordonnées ; à tout instant il arrache le moine à l'esclavage de lui-même ; il sert de déversoir au trop-plein du dynamisme , les bouillonnements intérieurs.
Il capte l'énergie désordonnée dans le canal de l'obéissance.
Il est la forme la plus fréquente de l'obéissance, la façon la plus facile d'échanger notre volonté contre la vie divine.
Il est une détente aux deux autres formes de travail : l'Opus Dei, et l'ascèse intérieure.
Quand il n'y a pas ces 3 formes de travail, il y a le travail du chapeau : c'est immanquable.

Petit Placide ne fait-il donc que des besognes "basses et abjectes", comme disent les livres ?
Qu'importe ? Eût-il bâti des cathédrales, est-ce cela qui fait l'homme ? L'activité humaine, fût-elle sublime, est une boue à côté de l'activité divine que Dieu vit en nous. C'est cela qui fait l'homme.

Comment petit Placide demanda une permission au Père Abbé.
"Révérendissime Père, permettez-moi de suspendre un fil à plomb au plafond de notre cellule, s'il v. p.
- Pourquoi, mon fils ?
- Pour avoir toujours sous les yeux l'image de la ligne droite qui doit être l'ossature de mon âme, et la route entre mon âme et Dieu.
Et cette ligne verticale tend à décliner à l'oblique et à tourner au tire-bouchon.
- Oui, oui, cher fils, je permets, et je vais même vous aider".

"Mettez aussi des figures qui évoquent l'absolu : l'angle droit, le cercle. Il y a UN angle droit : c'est l'intégrité. Il y a mille angles aigus : c'est la médiocrité.
Ô mon fils, respectez en vous l'absolu.
Deux puissances travaillent à notre destruction :
1° l'immonde médiocrité qui abat en chanfrein toutes les dignités de notre être. Résistez-lui dur comme acier.


2° La Sainte Croix, qui détruit toutes nos déchéances. Livrez-vous à elle avec un tout amoureux abandon.

Domine, da mihi scire quod sciendum est [Seigneur, donne-moi de savoir ce qu'il y a à savoir].
Petit Placide étudiait.
Le catéchisme dit : Il y a quatre blessures du Péché originel : l'ignorance, la concupiscence, la malice et l'infirmité.
Il est aussi illicite de s'abandonner à l'ignorance qu'aux 3 autres. L'ignorance a remplacé la science infuse : l'intelligence est Tabula rasa et elle n'est plus ordonnée à Dieu. Or c'est l'intelligence qui informe la volonté. On n'en fait pas plus long qu'on n'en comprend. Il faut meubler de doctrine la Tabula rasa.




Petit Placide suit le cours de théologie.
La science des sciences, qu'on ne sait jamais parce qu'elle est sans fin et que l'intelligence et la volonté désordonnées y sont rétives.
Petit Placide y mordait très fort, y puisait la lumière de ses yeux et la chaleur de son coeur.

Petit Placide apprit le dogme du Péché originel.
Il en fut tellement frappé, qu'il fit un dessin naïf, mais expressif, pour s'exprimer à lui-même l'effroyable nudité de l'homme déshabillé de Dieu. Il visait surtout l'ignorance et l'infirmité. Si les chrétiens et même les religieux et religieuses croyaient à ce dogme, seraient-ils pleins de soi comme ça se voit souvent ?

Comment le monastère déménagea, et ce que fit petit Placide.
Va-t-il compulser son règlement d'il y a 10 ans : "Mon oraison, ma lecture, et déménage qui voudra". Non, non. Sa souple intelligence a compris qu'il faut obéir avec intelligence.
Il vivait à un tournant de l'histoire, en ces périodes où il faut, plus que jamais, s'attacher à l'essence de la vie monastique et non à ses modalités transitoires.
Il embrassait, comme une direction infaillible, toutes les formes actuelles de la volonté de Dieu.
Et le Père Abbé, tout jubilant, se disait :
"Décidément, la vie est plus facile avec les sujets intelligents qu'avec ceux qui ne le sont pas".

Simple question.
[dialogue entre les moines]"Mais, mon cher Père, la leçon de la guerre n'a pas porté ! Le monde ne se convertit pas ! etc etc..."

Petit Placide réfléchissait :
Et les bons Pères, est-ce qu'ils se convertissent ?
Et moi ? Ce moi qui est le seul pays de mission sur lequel j'ai pouvoir, et dont j'aurai à rendre compte.

Comment Petit Placide commit un homicide par imprudence.
Il dit simplement : "Les voeux et la règle sont faits pour être observés, et l'office pour être vécu".
Père Routine, entendant cela, fut tellement suffoqué, qu'il tomba en apoplexie et mourut.

Christus natus est nobis, venite adoremus [le Christ est né pour nous, venez, adorons-le].
Petit Placide, à l'aurore de la Nativité, vient voir la Face créée du Créateur. Il a pris un livre d'un grand contemplatif, et il lit : "...Il n'y a pas de vie véritable en-dehors de la vision de cette FACE à jamais bénie" [Père Faber].

...in illius inveniamur forma in quo tecum est nostra substantia [que nous soyons trouvés en la forme de celui en qui avec toi est notre substance].
Quelle est donc cette forme ? Renversement des valeurs. Souverain mépris de l'action humaine, de tout l'humain. Voilà la vie des contemplatifs.

Il lut encore :
"L'homme fort est celui qui s'est enfoncé profondément dans la faiblesse du Christ".
Ecroulement de la force factice, du "plein de soi", de l'agitation ridicule de la fourmi qui croit bâtir le monde.
Tout anéanti, il dit : "Seigneur, je ne peux plus rien".
- Sufficit tibi, Placide, gratia mea [ma grâce te suffit]".
Et à mesure que s'écroulait sa force humaine, la force de Dieu le remplissait.

Comment Petit Placide célèbre son anniversaire de profession :
il va s'asseoir, tout tremblant de crainte et de bonheur, au banquet nuptial du Christ Roi, son époux . Il mesure, d'un regard de vertige, l'abîme de grâce où il est noyé, et l'abîme de misère d'où il est rescapé.
O Jésus, Marie, si vous n'aviez dit vous-mêmes, en moi, cette parole : Promitto [je promets], comment l'aurais-je su dire ? Et pour ce petit mot, qui est de vous plus que de moi, Seigneur, vous m'introduisez dans un monde enchanté, dans la suavité insoupçonnée de votre intimité.
O gaudium ! O laetitia ! Posuisti super me manum tuam [ô joie, ô allégresse ! tu as posé sur moi ta main ].
Petit Placide devient tout raminci, pas plus gros qu'un petit hareng saur. C'est cela l'humilité : la vie propre qui s'effrite sous le torrent démolisseur de la vie divine.

Un soir de Pentecôte, on entendit parler dans la cellule de Petit Placide. Père Prieur est alerté : "Qu'est cela ? parler dans une cellule !!"
Il entre et il voit : Petit Placide radieux, tout entouré de la splendeur de flamine sacro [une flamme sacrée]. Les sept dons étaient là, les sept énergies de l'amour divin.
Et ils parlaient : Conseil, Science, Intelligence, Sagesse répétaient les paroles de l'office divin et en extrayaient, pour lui, la suavité cachée : c'était comme ces bonbons qu'on suce un peu, et qui s'ouvrent brusquement, répandant leur liqueur délicieuse.
Piété n'eut rien à dire car déjà les saintes larmes coulaient des yeux de Petit Placide.
Crainte parla : "Si tu savais le don de Dieu et que tu le portes en un vase fragile ! Crains de le perdre. Crains comme l'enfer ta volonté propre, qui est la primeur de l'enfer".
Force parla : "Laisse tomber tes pauvres énergies, c'est moi qui suis ta force.
Tous les dons sont ordonnés à une vie héroïque : nous emportons celui que nous possédons au-delà de l'humain.
Petit Placide eut un frisson, quelque chose comme de tomber du 5ème. Mais un élément, une puissance s'interposa : "Ne crains pas, tu tombes en Dieu."
O paix ! o sessio ! o laeta quies [joyeux repos] de celui qui s'est laissé tomber en Dieu.
- Seigneur, j'ai épuisé l'admirabile commercium ; qu'ai-je à faire encore sur la terre ?
- La terre germe quelque chose que tu n'auras pas au ciel : le Corpus Christi.
Il mit dans un sac l'Esprit Septiforme, le donum Dei Altissimi [le don du Dieu très-haut]. "La seule chose dont je puisse dire : c'est à moi". Le sac est invisible aux yeux charnels, et Petit Placide ne le quitte ni jour ni nuit.
Il sortit du sac Intelligence et alla voir le Corpus Christi. Il y a là plus que la victime du sacrifice. Permanence de Notre Seigneur. Tous les mystères de sa vie, in mysterio, in sacramento socius.

Il se propose ad contemplandum et ad imitandum [pour contempler et pour imiter]. Car nous ne pouvons offrir cette victime-Dieu sans être participants de sa divinité, par son humanité. A cause de cette accointance qui est en nous avec lui : capacité divine que rien ne peut nous arracher même l'enfer.
Quand on offre un sacrifice, on mange la victime. Mais celle-ci est Dieu ! Abîme ! Elle nous saisit, absorbe, assimile à elle.
Et pourtant, je ne suis pas anéanti : c'est toujours moi, petit Placide, mais tout engraissé, en aise et en bien-être, après cette nourriture ; et gardant ma volonté libre pour faire de Dieu l'usage que je voudrai.
- Mon Dieu, c'est pour un jour seulement ?
- Je découpe l'éternité en petites miettes "jours" adaptés à vos petites possibilités, petits hommes.
Je découpe mon être même en petites hosties pour vous en donner une chaque jour.
Je découpe le continu en discontinu, pour multiplier l'acte ineffable qui me livre à vous et vous faire répéter le "oui" qui vous livre à moi.
Et que me répondent-ils, les ingrats : "Faire son lit tous les matins et se remettre dedans tous les soirs... J'en ai marre..."

voilà ce que j'avais mis sur le forum DA. Mais le livre n'est pas fini, il reste une vingtaine de pages.
Si vous les voulez, je les mettrai aussi.

C'est trop mignon ! j'ai trouvé deux petites illustrations que j'ai trouvées. Ai-je bien fait ?

Et si on mettait plutôt ce fil dans la partie "textes et prières", ou "témoignages divers" ?

C'est trop mignon ! j'ai trouvé deux petites illustrations que j'ai trouvées. Ai-je bien fait ?
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Où sont-elles ?

Cécile a écrit:C'est trop mignon ! j'ai trouvé deux petites illustrations que j'ai trouvées. Ai-je bien fait ?
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Où sont-elles ?

Je les ai inserrées dans l'histoire

oui, Joss, bien sûr, tu as bien fait ! Tu vas trouver que je ne suis jamais contente, mais cette fois, je les trouve un peu petites, les images... Si tu pouvais les agrandir un peu... Elles sont géniales ces images.

Non, Souricette, c'est un traité de théologie et d'oraison, il vaut mieux le laisser ici.

Non, il n'est pas question de st Maur.
Bon, alors je continue. Une page par jour, pour faire durer le plaisir !


Don de Science, où es-tu ? pour expliquer à ces endormis que, sous cette averse de petites occupations communes et de petits incidents, qui leur pleut en un jour, il y a Ma Face qui se tend, ainsi voilée pour les baiser. Ils rechignent et ouvrent leur parapluie.

Petit Placide roulait d'abîme en abîme. Un chaînon entraînait un autre chaînon avec une rigoureuse logique, et il n'en voyait pas le bout.
Alors il rentra Intelligence et sortit Sagesse.
Nouveau mode de connaissance : il savourait les notions données par Intelligence. Il se laissait dissoudre en Dieu, et par cet acte d'Amour, Le captait Tout entier.

Merci Dominique pour le petit Placide ! comme c'est beau à lire, cela élève l'âme et c'est tellement apaisant je trouve

Petit Placide, as-tu un coeur ?
- Oui, Seigneur. je le sens qui bat, toujours souple, toujours en son aurore, toujours ouvert à la sève Divine.
- Viens donc, fils très cher, et je te conduirai dans le Saint des Saints de mes secrets, où ne peuvent entrer les sclérosés, coupés d'avec la Source de Vie.

Dominique:
J'ai lu ce livre il y a longtemps et je ne l'ai plus. Est-ce qu'il n'est pas épuisé?
Rosario

C'est bien possible qu'il soit épuisé. Moi j'ai acheté le mien d'occasion aux bénédictins de Kergonan (en Bretagne), pour remplacer celui que j'avais avant, que j'avais prêté à quelqu'un qui ne me l'a jamais rendu.
Tu peux le trouver d'occasion sur internet, peut-être.

Je continue :

"Mon Divin Coeur par qui je vis et par qui tout vit.
En dehors de cet Amour qui précipite MOI en MOI, et qui précipite en MOI ma Créature faite à mon Image, en dehors de cet Amour c'est la Mort".

Petit Placide est absorbé par le mystère de la vie. Accedit ad Cor Altum. Dans le silence de cet abîme, il palpe l'élan incessant qui part de son coeur, et se précipite vers sa Source et sa Fin. Aucune assise en lui-même. Le Moi retombe mort. Voilà donc la Vie. Qui dira la puissance de cet acte vital, et sa paix et sa béatitude !

Comment Petit Placide connut la tentation .
Le démon, voyant quelle fleur Dieu se réservait en son jardin fermé, résolut de la couper et jeter hors clôture pour qu'elle fane et périsse.

Il arriva avec son arsenal, toujours le même :
"Reviens chez tes bons parents qui pleurent ton absence. Que fais-tu là à t'annihiler dans cette vie larvée ?
As-tu seulement la vocation ? Et à quoi ? Prier ? Chercher Dieu ? Illusions périmées. Notre temps est à l'action. Agis toi-même ; ne compte pas sur Dieu. Tant d'âmes t'appellent."

Il ouvrit l'oreille au venin diabolique qui l'intoxiqua.

Et la Croix pesa plus lourd aux épaules de Jésus.

Tout ébranlé, il commençait à quitter l'"habitum sanctae conversationis", à fouler aux pieds sa suprême dignité, unique béatitude, et le fruit de la passion du Seigneur.

Mais ceux qui l'aimaient crièrent pour lui, vers la Mère de Miséricorde. Memorare.....[souvenez-vous]
Elle vint et le prit in gremio [dans ses bras] et le brancha à nouveau sur Dieu.
Et la tentation tomba.

[toutes mes excuses, il y a un bon moment que j'ai oublié de vous mettre la suite du feuilleton. Donc, voici :]

Le coeur tout battant, il s'assit sous le cloître.
Ô Dieu ! Torrente voluptatis potabis eos [tu les abreuveras d'un torrent de volupté].
L'Enfant Prodigue retrouva plus qu'il n'avait laissé.
Petit Placide se laissa choir en cette volupté.
Et il rit d'un doux petit rire d'amour, ce Petit Placide de rien du tout, sur qui se penche la convoitise de Dieu.

Satan vint voir le résultat de sa diplomatie.
Mais Petit Placide était armé :
"Pourquoi me cherches-tu ? Ne sais-tu pas que je dois être aux choses de Mon Père".

Petit Placide vient de doubler le cap redoutable qui enracine ou déracine une vocation pour toujours.

Comment Petit Placide visita une exposition d'art abstrait.

- Vous devez comprendre cela, vous qui êtes voués à une vie toute spirituelle ?

- Evidemment, c'est l'Art le plus haut, qui dépouille la ligne du concret qui la borne pour en faire le véhicule de la pensée.
Mais cela suppose qu'il y a une pensée ; et que le signe qui l'exprime nous est accessible.

- Nullement : vous méconnaissez l'Art pur en voulant lui faire exprimer quelque chose. Il est tout entier rythme de lignes, de couleurs, volumes. Il vient du surhomme et s'adresse au surhomme.

- C'est possible, cher ami. Mais, en ce cas, je me retire car je ne suis qu'un homme, ayant les deux pieds sur la terre, et l'abstrait pur ne m'est pas intelligible.
Lorsque Dieu, qui est le maître des Arts et le père du bon sens, voulut nous manifester quelque chose de l'Abstrait Ineffable, il commença par revêtir le Concret, et ce fut l'Incarnation.
C'est par là qu'il nous parle les plus hautes Sublimités. Là est la Norme de toutes nos démarches humaines.

- Cependant vous ne pouvez nier la valeur de la ligne en elle-même ?

- Sans doute, et vous pouvez en rester là, si vous voulez ; mais, pour moi, j'ai quelque chose à dire.
Il y a en moi un Mystère énorme qui m'accapare, une Vie, Essence de vie, où je bois ma plénitude ; une houle qui renverse, comme un tank, les théories fabriquées ; et qui veut se parler, se clamer, et qui trouve sa forme par la vitalité même de son jaillissement.
Voilà mon Art.

Je viens de lire ces quelques lignes (nombreuses et réjouissantes) et une phrase m'a frappé

Comment vint le voir sa petite soeur Flavie :
"Bonjour Flavette. Comment va papa, maman, nounou, minet ?"
Et il badina avec elle toute la journée.
Mais Flavie fut tellement saisie par la sainteté qui rayonnait du petit Placide, que, enflammée par la contagion de l'Amour divin, elle prit le voile chez Madame l'Abbesse sainte Scholastique.

C'est la seule allusion à un personnage humain et à ma connaissance il n'y en a eu qu'un , Benoit de Nursie et sa soeur Scholastique, c'est le lien familial qui a attiré mon attention..


A mon avis ce texte est métaphorique cela ne m'étonnerait pas beaucoup que ce soit une "vie idéalisée" de Benoit de Nursie, c'est étrange d'imaginer un fondateur d'ordre aussi simple... Mais peut être .. qui sait..

En somme "le petit placide"= "benoit de nursie". (reste à vérifier que c'est vrai et je me serais peut être trompé sur mon hyptohèse)

St Benoit de Nursie

Quand tu entreprends une bonne action, demande lui par une très instante prière qu’il la parachève. Alors celui qui a daigné nous compter au nombre de ses fils n’aura pas un jour à s’attrister de nos mauvaises actions.
Règle de saint Benoît-Prologue

st Placide est un moine bénédictin, sans doute contemporain de st Benoît puisque sa soeur entre chez ste Scholastique.
On ne sait rien sur sa vie, c'est une BD qui a été écrite par une bénédictine, j'ai ici recopié le texte sans les images (Joss en a mis deux qu'elle a trouvées). Sous forme plaisante, c'est un traité de théologie mystique.
D'ailleurs il me semble que j'ai dit ça au début. Pour comprendre, il vaut mieux tout lire !

De la vie du "petit Saint Placide", on ne connaît que ce qui est dit dans les "Dialogues" de Saint Grégoire le Grand, où il retrace la vie de Saint Benoît.

On connaît Saint Benoît essentiellement par sa "Règle". Il y a des quantités de livres commentant cette Règle.

Si on s'intéresse vraiment à cette Règle, il faut acheter une édition comprenant la version originale en Latin, avec la traduction, bien sûr.

Le Père Adalbert de Voguë, moine vivant toujours à La Pierre qui Vire, a écrit beaucoup d'ouvrages sur la Règle, pas tous faciles à lire ! On les trouve sur le site de l'Abbaye (Cistercienne) de Bellefontaine.