MARTHE ET MARIE


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Le Journal de Julien Green

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Message par etienne lorant Mer 10 Nov 2010 - 14:23

Si j'en ai l'occasion, ayant trouvé "Ce qui reste de jour", le Journal de Julien Green, je rapporterai ici les notes de Julien Green qui me semblent intéressantes.Avec peut-être quelques notes personnelles. Je dois énormément à cet auteur, car en 2008, peu après le décès de mon père, le placement urgent de ma mère en maison de repos (elle dût se faire opérer deux fois !), l'éloignement rapide des membres de ma famille, mon célibat est devenu une lutte contre les tentations de sortie. Or, tout le Journal de Julien Green, qu'il a commencé à rédigé dans les années 20, est un Journal de combat, comme celui que tiennent les commandants de navires....

5 mars 1967
Visite d'un jeune prêtre qui m'a confié beaucoup souffrir au point de se croire être en train de perdre la raison. Il m'a parlé un peu plus tard de la force énorme dont dispose l'Église par ses sacrements. Sans la communion, la vie change, la foi faiblit et s'en va. C'est à peu près sans exception.

19 mars 1967
Hier, procession des Rameaux, dans l'immense jardin potager de l'église des missions. Un reposoir dans un coin, des croix et des statues blanches, des merles sur les pelouses, tout cela dans un froid glacial. Des chants, de la ferveur, les voix qui s'enflent en regagnant les couloirs des grands bâtiments, tout cela est d'un autre temps et je le regrette.

2 mai 1967

"A la campagne. Quittant la grande maison pour aller dormir dans la petite, j'ai été saisi d'admiration devant le ciel étoilé dans l'air glacial. Peu d'étoiles, mais si brillantes et si merveilleusement belles que j'ai pensé au langage au-delà du langage humain qui est celui du Ciel, langage sans paroles et dont rien ne peut donner une idée. Dans ma chambre, avant de me coucher, j'ai ouvert ma Bible et je suis tombé sur ces paroles: "Je suis la lumière du monde." Ce verset m'a toujours frappé par tout l'absolu qu'il renferme et le mystère dont il s'entoure. Quand j'étais enfant, ce mot de monde me faisait rêver à l'infini. Je voyais des centaines de royaumes baignés d'une lumière surnaturelle. Beaucoup de silence dans le verset où se retrouve le même langage que celui du Ciel, rapprochement qui m'a ravi. J'ai refermé le livre et je me suis endormi en paix. Et comme il arrive, car ces grâces ont leur prix, une journée inquiète a suivi, avec les tentations ordinaires.

Note personnelle
: vivant en ville, j'ai rarement l'occasion de voir un ciel comme le décrit Julien Green. L'idéal est de s'écarter loin de tout éclairage urbain, en ce compris, bien sûr, les éclairages autoroutes et des routes, et donc de "s'égarer" soi-même à "Petaouchnokville" ou "Saint-Loinloin de Pas-Proche",, bref un trou perdu où la main de l'homme n'a pas encore mis les pieds - et franchement, ce n'est pas si simple à trouver ! Mais pour le peu que j'en ai vu, oui, l'impression ressentie fut celle de la démesure. Il suffit que l'on passe une minute ou deux à contempler les étoiles la nuit, en rase campagne, et il se passe quelque chose dans la personne de l'observateur. Un peu comme si le "moi", d'un instant à l'autre, allait se laisser enlever, absorbé par cet infini.

Je me souviens aussi de l'exclamation d'un des astronautes de la première fusée lunaire. Il s'était exclamé : 'Difficile de dire qu'on ne croit pas en Dieu lorsqu'on regarde la Terre depuis l'espace, mais aussi l'espace depuis l'espace ! Toutes les perspectives et les proportions qui paraissent claires sur le papier sont dépassées par un simple regard". Un jour, j'ai éprouvé un sentiment similaire, bien que de moindre intensité, en contemplant longtemps un de ces "champs de blé sous le soleil" qu'a peints Vincent van Gogh. Ou bien j'ai perçu quelque chose du vertige qui l'habitait, ou bien encore: existerait-il, dans la nature comme dans l'art, une sorte de "dé-construction de logique" qui invite l'âme ? Mais c'est peut-être aussi le sentiment d'incapacité à tout saisir dans la création : le premier homme qui a utilisé un microscope, n'a-t-il pas connu une sorte de révélation devant 'tout ce qui grouille et qui vit' de l'autre côté de l'œilleton de son appareil ?
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Message par etienne lorant Mer 10 Nov 2010 - 14:25

16 mai 1967
"Dans la seconde Épître aux Corinthiens, chapitre 10, verset 10, saint Paul nous dit l'impression qu'il fait: "Présence faible, élocution méprisable". Il se sent beaucoup plus à l'aise et vraiment fort lorsqu'il écrit. Moïse bégayait, Jérémie aussi, c'est à ceux-là que Dieu a confié ses missions formidables".

Note personnelle : Moïse, en effet, avait de grandes difficultés d'élocution. Voir dans la Bible : Exode, chapitre 4 versets 10 à 17. En relisant ce passage, j'ai été frappé par l'étonnement même de de Dieu devant le "problème technique" soulevé par Moïse :
" Le Seigneur lui répondit: Qui a fait la bouche de l'homme? Qui a formé le muet et le sourd, celui qui voit et celui qui est aveugle? N'est-ce pas Moi?" J'en ai conclu que s'il avait eu assez de foi, Moïse se retrouvant devant Pharaon, eût soudain trouvé l'éloquence des plus grands... Quant à Jérémie, il se plaint : "Je ne sais point parler car je ne suis qu'un enfant" - le terme latin "infans" (précisé dans un renvoi de mon livre) désigne précisément celui qui ne parle pas. Dans le Livre de Jérémie, Dieu envoie un ange avec un tison pour lui toucher les lèvres et le Seigneur dit: "Voici que j'ai mis mes paroles dans ta bouche".

D'une certaine façon, le fait que Dieu ait envoyé, pour parler en Son nom des hommes qui avaient de telles difficultés, me confirme dans la pensée que "Tout est grâce". Car Jésus dira lui-même: "je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs" - et les premiers envoyés pour annoncer la bonne nouvelle du Royaume sont ceux que le Temple rejetait. Et, en définitive, ce que nous considérons en nous comme des talents, Dieu n'en a cure. Mais c'est presque le contraire : pour nous mettre au travail, Dieu va choisir nos imperfections et nos manques. L'homme qui n'écrirait jamais (j'en connais au moins un), le voici qu'il écrit sans avoir suivi de cours. A Nazareth, c'est le charpentier Jésus qui compte, lui qui connaît le meilleur usage du plus mauvais outil. Lorsque Dieu fait s'effondrer l'Empire romain, il n'a pas utilisé une massue, mais un grain de sable dans la machine à broyer. Bref, pour servir le Seigneur du mieux qu'on pourra, il suffit (c'est le plus dur, sans doute...) de s'abandonner. Combien de fois, jusqu'à ce jour, n'ai-je pas ressenti, après avoir fini d'écrire, lors de la relecture, cet étonnement étrange: "Est-ce possible, c'est moi qui ai écrit ces mots ? "
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Message par etienne lorant Mer 10 Nov 2010 - 14:32

19 Juin 1967 : La guerre des six jours en deux lignes !

Description de Julien Green : "La guerre israélo-arabe a prix fin hier après des discussions qui ont dû être pittoresques. Il y a eu un soulagement général. Dimanche dernier, les hostilités n'avaient pas encore commencé".

Note personnelle: J'ai vu un reportage dans lequel d'anciens officiers d'Hitler, ayant occupé le côté français du Rhin, avaient des ordres très clair - au moindre mouvement de l'armée française, pour intervenir, ils devaient se replier aussitôt. Les soldats allemands envoyés "occuper" la rive occidentale du Rhin n'avaient que leur fusil, mais pas une seulle balle. Ils avaient reçu l'ordre de se retirer dare-dare en cas d'intervention de l'armée française. Bref, c'était du bluff, un de ces coups de bluff qui ont si souvent réussi au chef de l'Allemagne nazie.


Pour le reste, les survivants des camps de la mort étaient vraiment extraordinairement déterminés. J'ai toujours applaudi les Israéliens pour avoir écrasé l'aviation arabe à peine cinq heures avant qu'elle décolle ! La guerre du Kippour fut beaucoup plus rude, mais Moshe Dayan fut pour le moins extraordinaire. Je crois que Dieu ne permettra plus que le peuple Juif, tant aimé, subisse un deuxième holocauste. L'Iran ? Même pas peur !
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Message par etienne lorant Jeu 11 Nov 2010 - 14:59

1er juillet 1967

"L'encyclique du Pape sur le célibat obligatoire fera, je le crains, de larges coupes claires dans les rangs du clergé".

Cette note d'une ligne dans le Journal vaut la peine d'être relevée, non pas seulement du fait de sa concision, ni de sa lucidité, mais aussi à cause de son exactitude. Julien Green consacrait beaucoup de temps à vérifier et vérifier encore chacune des notes. Et donc, si je tape "Encyclique juin 1967" (il faut bien admettre qu'elle a été écrite au cours du mois de juin - non le 1er juillet), eh bien j'obtiens directement ce que je cherche:

Sacerdotalis Caelibatus (24 juin 1967) - Vatican: the Holy See
LETTRE ENCYCLIQUE DE SA SAINTETÉ LE PAPE PAUL VI .... Propos de l'Encyclique. 16. En esprit de foi, Nous considérons l'occasion maintenant offerte par la ...
www.vatican.va/.../hf_p-vi_enc_24061967_sacerdotalis_fr.html - En cache - Pages similaires
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Message par etienne lorant Ven 12 Nov 2010 - 15:18

Note personnelle à propos du célibat des prêtres:

"Louis Segond Bible (1910)
Car il y a des eunuques qui le sont dès le ventre de leur mère; il y en a qui le sont devenus par les hommes; et il y en a qui se sont rendus tels eux-mêmes, à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne.

Darby Bible (1859 / 1880)
car il y a de eunuques qui sont nés tels dès le ventre de leur mère; et il y a des eunuques qui ont été faits eunuques par les hommes; et il y a des eunuques qui se sont faits eux-mêmes eunuques pour le royaume des cieux. Que celui qui peut le recevoir, le reçoive.

Martin Bible (1744)
Car il y a des eunuques, qui sont ainsi nés du ventre de leur mère; et il y a des eunuques, qui ont été faits eunuques par les hommes; et il y a des eunuques qui se sont faits eux-mêmes eunuques pour le Royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre ceci, le comprenne.

J'ai pris les extraits que de différentes Bibles pour trouver une traduction que je trouverais plus convenables, mais toutes celles-ci disent que l'initiative revient à ceux qui se sont rendus 'eunuques' eux-mêmes. Je n'aime ni cette traduction ni les deux suivantes. D'une certaine manière, elles ne tiennent pas compte de l'évolution intérieure qui se produit chez les convertis - qui vivaient déjà le célibat au moment de leur conversion.

Sur le moment-même, à cause de l'éblouissement de la conversion, un éblouissement qui ne brûle pas les yeux mais le cœur, il est évident que celui ou celle qui en a bénéficié, se dira immédiatement "oui, oui, oui !", me voici libre d'aimer "à tous vents" car me voici détaché désormais, de façon heureuse, d'aimer de la façon dont le Christ m'a aimé ! Et donc, lors de la conversion, le célibat et la chasteté sont associés et considérées comme évidentes.
Mais la lutte vient ensuite. C'est une lutte, non une castration ! C'est un combat, non un rejet de la nature. Si le cas individuel est plus explicite, durant quatre ans après l'illumination bienheureuse, je n'ai jamais confondu le sentiment "neuf" des anciens sentiments et des anciennes émotions.

Cela ne m'a pas empêché de retomber une fois dans une relation "affective et sexuelle", car j'avais été tenté, comme Dieu le permet. Tenté durant trois ans, j'ai renoncé à mon choix premier, mais j'y suis revenu, et cette fois, je n'ai plus jamais confondu ni les sentiments, ni les émotions, ni les attitudes. J'ai été libre deux fois plus qu'avant. En réalité, bien sûr, on ne devient pas un "eunuque par déformation psychique" et les images sensuelles diffusées tardivement sur l'écran de télé provoquent des réactions tout à fait naturelles, physiologiques. Mais même, ainsi, une part de l'être lutte et résiste - car la grâce a éveillé la volonté.

Je ne doute donc pas de validité spirituelle du célibat des prêtres. Ce qui est regrettable, infiniment, c'est que la société humaine, du monde, est quasi unanime à vouloir "éradiquer" la chasteté comme une chose immorale, contraire à la nature, voire dangereuse. Plus désolante encore, la manière dont les chrétiens vivent chacun de leur côté, ne se réunissent pas de façon conviviale - et pas forcément pour prier le Rosaire. Les réunions "informelles" entre prêtres sont rares, je le sais. Bref, la solitude est le quotidien. La famille ? Quelle famille n'est pas divisée, décomposée puis recomposée ? Dans la pratique, aucun appui, aucun soutien - si: la prières, quelques échanges sur internet, mais surtout: c'est le fait d'aller assister ceux et celles qui en ont besoin, c'est la prière quotidienne et le travail quotidien, et la pratique des sacrements, qui entretiennent ce feu divin qui élève tout l'être, et n'a de cesse de l'élever encore.
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Message par etienne lorant Dim 14 Nov 2010 - 14:00

8 juillet 1967

La providence des inconnus.
"Jusqu'ici, d'une façon générale, je n'aurai pas eu à me plaindre du genre humain. Quand j'ai eu des difficultés, il s'est toujours trouvé quelqu'un près de moi. Des hommes et des femmes sont venus, pareils souvent à des messagers, pour me parler avec douceur et me conseiller avec sagesse. Cela a toujours frappé ceux qui ont un peu connu les circonstances de ma vie".

Note: "Ce que Julien Green écrit ici, chacun d'entre nous le peut aussi. La Providence envoie toujours quelqu'un devant nous. Et la plupart du temps, ce quelqu'un, cet individu inconnu ne saura pas - du moins avant le jour du Seigneur, comment il aura servi Dieu en servant un inconnu. Dans ma vie, je peux dire qu'un jour, je me suis retrouvé devant un Lieutenantt-Colonnel qui m'a longuement interrogé sur "huits façons de mourir en guerre" qui sont décrites dans 'Monte Cassino', un des romans de Sven Hassel.

Etais-je un militant communiste, infiltré dans l'armée belge pour démoraliser la troupe ? Un ordre de punition en 'bataillon de marche' avait déjà été rédigé contre moi, et n'attendait plus, pour être exécutable, que la signature de ce 'Breveté d'Etat Major. Or, cet homme, ce colonnel, m'a dit: "Je ne peux pas vous envoyer là-bas, votre corps n'y résisterait pas, vous seriez déserteur au bout de deux jours; de toute manière, un vrai communiste n'eût pas agi en signant son texte. Alors parlez-moi sans détour." Ce que je fis. Et à partir de ce jour, je fus affecté uniquement au bureau de ce Colonnel et je fus tranquille jusqu'à la fin de mon service obligatoire. Le dernier jour de monn temps d'armée, le Lt-Col m'a dit: ce qu'a écrit Sven Hassel est tout à fait exact, les infirmiers ont ordre de ne pas s'attarder auprès des blessés mourants, mais de courir et d'emporter uniquement ceux qui ont une chance d'être sauvés.

Des inconnus comme cet officier, j'en ai croisé plusieurs, en diverses criconstances. Ils m'ont apporté énormément mais n'en savent rien - mais un jour, cela leur sera rendu, j'ens suis certain, car : "de la manière dont vous aurez mesuré, il vous sera mesuré.
Si l'un d'entre vous a une annecdote similaire à raconter, c'est le moment !
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Message par etienne lorant Mer 17 Nov 2010 - 17:21

8 juillet 1967
A propos d'un roman d'Edith Warton:

"Je voudrais dire un mot du roman d'Edith Warton. L'intrigue en est absurde : un Américain de New York, vers 1870, épouse une femme qu'il n'aime pas. Il est épris d'une autre femme qui, elle, l'adore. L'homme lutte contre cette passion qu'il finit par vaincre, sans que jamais la femme et lui aient été amants. Il faut dire qu'elle a pris part à cette lutte. Et à quoi doivent-ils cette victoire ? A leur religion ? Question inepte. Ils la doivent tous les deux au fait qu'ils sont Américains et qu'il y a certaines choses que les Américains ne font pas - ou plutôt que les Américains de New York ne font pas. La morale est sauve, la société de New-York n'aura pas à souffrir de ce gros scandale : l'adultère, péché européen !"

Note perso : c'est moins anecdotique qu'il m'a semblé à première vue. Je me dis en effet que du point de vue du bon Dieu, mieux vaut encore avoir péché et se repentir durement que d'élever sa vertu en statue de marbre. Il existe des situations familiales qui sont sources de tels conflits que les membres de la famille finissent par renoncer: on ne se fréquentera plus, voilà tout. Mais çà ne fonctionne pas ainsi, et le silence est pire encore. Mieux vaut de grandes et longues disputes (comme celle qui oppose Elizabeth Taylor et Richard Burton dans 'Qui a peur de Virginia Woolf). Dans une dispute, on peut se lancer des mot terrifiants, mais çà ne compte pas - tandis qu'un silence qui s'installe et dure des années, cela je l'ai vécu et je le vis encore. C'est un supplice affreux, car on n'en voit jamais la fin: cette réconciliation, pleine et entière, qui effacerait toutes les "étapes de montagne", comme elle se fait attendre et comme on a la sensation de la porter à bout de bras, ou comme une épine au front !

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Message par etienne lorant Jeu 18 Nov 2010 - 16:48

1O novembre 1967
"Quand on parle à quelqu'un d'argent, son visage change et qu'y lit-on ? L'inquiétude. Je l'ai remarqué cent fois. On dirait qu'on touche aux sources mêmes de la vie".

Note perso : J'ai d'abord trouvé que Julien Green exagère: l'argent touche aux sources mêmes de la vie ?!?
Mais ensuite, j'ai compris que c'est vrai en tant que substitut de vie, en tant qu'image forte, en tant que symbole.
Mais c'est affreux, évidemment. De nos jours, lorsqu'un homme est un peu triste, il calcule combien il a en banque - et généralement, il se félicite en se disant: "çà va, j'ai encore de quoi tenir". Triste constat, mais tellement vrai ! Un chiffre sur un compte en banque remplace donc le voyage qu'on n'a pas pu faire, la rencontre dont on avait rêvé, l'objet dont on s'est privé, le cadeau qui eût tant fait plaisir, etc. On s'est privé, on a privé autrui, et puis on meurt en essayant de tout rattraper. C'est bien pourquoi Jésus déclare: "Vous ne pouvez servir deux maîtres, Dieu et l'Argent." Dans ma Bible, Argent est écrit une majuscule, et c'est correct car il représente non pas de la monnaie ou des devises, mais un maître, Mammon, l'esprit des richesses. Un démon : une obsession latente chez l'homme - et savamment entretenue par les media : "Ah, Madame, Monsieur, combien toucherez-vous à votre pension ? Vite, souscrivez une assurance, serrez-vous un peu plus la ceinture, ne cultivez pas la joie comme dit le prophète, mais calculez chaque fois que vous devez payer, soyez des gens raisonnables !" C'est fou comme le diable aime la raison commune !

Aujourd'hui même, je sors de chez un assureur. Il a réussi à m'effrayer et me faire signer une assurance de responsabilité civile. Non pour la voiture (celle-là, je l'ai déjà), mais pour les torts que je pourrais causer à autrui par pure maladresse. "Si je renversais quelqu'un en voiture ? Mais non, je suis déjà couvert pour çà". Et l'assureur de m'expliquer qu'en dehors de la voiture, cela peut concerner une simple querelle en rue, une bousculade, une peau de banne sur un trottoir...

J'ai dit encore: "Ou un présentoir de livres qui tomberait sur un client...". Ah, non, pour ce cas-là, il faut aussi une assurance responsabilité civile et professionnelle ! D'accord. Mais je n'ai pas signé celle-là. Ainsi non seulement il y a l'inquiétude de l'argent, mais l'inquiétude de l'argent à perdre si l'on n'a pas tout assuré.... etc, etc, etc.

[i]
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Message par etienne lorant Mar 23 Nov 2010 - 17:06

Témoignage dans le Journal de Julien Green - 10 novembre 1967
Ce jeune prêtre m'a raconté la choses suivante qui est curieuse et que je trouve belle. Il a été récemment appelé au chevet d'une mourante, mais quand il arrive, on lui dit qu'il est trop tard, qu'elle est dans le coma. C'est d'une vieille femme qu'il s'agit. Le prêtre, seul avec elle se demande ce qu'il doit faire, car, plongée dans une profonde inconscience, elle n'entend, ni ne voit, ni ne comprend rien. Il lui donne cependant l'extrême-onction, et d'abord l'absolution avec indulgence plénière, puis il prie pour elle et enfin il lui parle, il lui parle longuement, mais n'est-ce pas à une morte qu'il parle ? Il continue néanmoins, réconforte cette femme dont l'immobilité devrait le décourager.Au bout d'une heure, il se lève pour partir. A ce moment, la mourante ouvre les yeux et dit: "Merci". Quelques minutes plus tard, elle a cessé de respirer.


Mon père est décédé en gérontologie, un couloir d'hôpital dans lequel il y avait chaque jours des morts. Toute la famille et moi nous sommes dit: "s'il avait eu une pathologie quelconque, on aurait pu le placer en soins palliatif, du moins il eût bénéficié d'une chambre particulière et de soins quotidiens moins "minutés" ! Mais il était prêt, il luttait même contre ce médecin qui voulait absolument le "rattraper": chaque jour, il arrachait les sondes plantées dans ses bras, celle qu'on lui avait enfoncée dans une narine, raison pour laquelle on lui avait immobilisé les bras avec de vulgaires essuie-mains. Comme il luttait encore, le médecin responsable avait fini par inclure des psychotropes dans les sondes - et il était devenu comme une plante. C'est, un matin, en le voyant ainsi, que j'ai décidé de l'aider à s'évader de la vie. J'ai moi-même défait les nœuds des essuie-mains, j'ai attendu qu'il se réveille et il a aussitôt retiré lui-même toutes les sondes. Alerté, le médecin m'a pris à parti, mais c'est moi qui l'ai menacé finalement. De toute manière, je lui ai suggéré: laissez-lui dire ce qu'il veut, d'accord ? Dialogue : "Papa, tu m'entends bien ?" "faible voix : "Oui" "Le médecin est la, dis-lui ce que tu veux." Réponse : "Je veux faire tout mon possible mais je veux manger seul"... C'est la dernière phrase la plus longue qu'il ait dite. Le lendemain, il a dit à ma mère : "Je suis heureux". Le troisième jour, il attrapait un staphylocoque doré. Le lendemain, on nous a annoncé qu'il avait expiré entre son lit et la table du petit déjeuner. Oui, il s'est vraiment évadé !

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Message par etienne lorant Mar 23 Nov 2010 - 17:09

Journal de Julien Green - 12 novembre 1967
Après une histoire qui parle du 'grand passage' sur lequel les sacrements, mais aussi les prières ont grand pouvoir, Julien Green rapporte, le lendemain, un petit mot d'enfant que j'ai trouvé assez extraordinaire:


'A la campagne. Bruno, qui a cinq ans, et que nous voyons quelquefois, car ses parents habitent en face de notre maison, demandait à quelqu'un l'autre jour : "Où étais-je avant de vivre avec papa et maman ?" Cette question aurait plu à saint Augustin.

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Message par etienne lorant Mar 23 Nov 2010 - 17:11

Julien Green 22 novembre 1967
"Lundi, je devais recevoir un religieux, à six heures de l'après-midi. J'avais déjà une visite, un ami que je vois souvent. Je lui dis: "Il est six heures moins le quart, reste jusqu'à six heures moins le quart, reste jusqu'à ce que mon franciscain soit là." Mais il préfère partir, ouvre la porte, trouve le religieux assis la chasse du palier, lui demande d'entrer. Le religieux répond avec un sourire : "Mr. Green m'a dit six heures, et j'attends qu'il soit six heures". "Mais il fait froid là". "Cela n'est rien", dit le frère avec humilité. Il est enfin entré et seul avec moi m'a fait la confidence de ses difficultés... Il parle simplement, doucement, avec un sourire d'enfant, me dit qu'il garde l'espérance et n'a jamais pensé qu'il serait perdu; sur ce point, je suis entièrement d'accord avec lui. Il est plus près de la sainteté que beaucoup de catholiques qui sont la rigueur même et se prennent personnellement pour l'Eglise."

Note perso: j'en ai souvent voulu au frère franciscain qui n'a pas su me recevoir, une semaine après ma conversion, simplement parce qu'il doutait, parce qu'il avait connu une rupture professionnelle (il avait été directeur d'un collège, et il ne savait pas me répondre. Il n'avait plus sa robe de bure, mais un costume "clergyman" dans lequel je ne l'avais moi-même pas reconnu. Cependant, j'étais décidé à rentrer dans l'ordre franciscain. Je lui ai raconté tout l'épisode de ma conversion - avec le côté "surnaturel" qui avait achevé de me convertir- et je lui ai demandé: j'ai besoin d'un lieu pour réapprendre à marcher dans le monde, puisque je me sens comme un tout petit enfant, qui ne sait plus comment marcher. (Dans mon idée, il allait me recevoir, me laisserait me "re-familiariser" avec les offices, puis parler avec lui de l'avenir.) Mais surtout et avant tout, j'attendais une confession - qu'il me la propose, bon sang ! Mais il n'était plus le même - il n'avait plus le même 'éclairage surnaturel' que je lui avais vu lorsque j'étais étudiant : il ordonnait, et pas un seul n'osait désobéir, sa voix gouvernait plus que la tête, mais aussi les cœurs

Mais bref, c'étaient les années 80, il avait eu son apprentissage de la "modernité" et ... un peu oublié la totale humilité de saint François. Qu'importe. Je lui ai tout pardonné dans mon âme, l'an dernier, lorsque j'ai appris que lors de l'épisode de Dunkerque (l'invasion allemande) ils étaient six à marcher depuis des semaines et aider tout un chacun, et ont failli se faire fusiller comme appartenant à la "cinquième colonne".

Ce franciscain vit toujours, plus pour longtemps, bien sûr, mais Dieu le bénisse !
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Message par etienne lorant Mar 23 Nov 2010 - 17:12

28 novembre 1967
Aujourd'hui, conversation à la radio avec Jean-François Noël. Je lui dis: "N'est-il pas curieux qu'en 1967, on puisse attirer l'attention sur soi en parlant des vérités du catéchisme ? On a l'air d'un étranger venu d'un pays lointain et qui garde l'accent de ces régions-là. Je lui cite des phrases de Nietzsche sur le souffle du vide qui frappe le visage de l'incroyant, puisque "Dieu est mort"


Note perso: Je me souviens d'une réflexion de Dostoïevski qui écrivait : "A partir du moment où les hommes auront déclaré "la mort de Dieu", il se jetteront les uns sur les autres pour s'embrasser comme s'ils voulaient se consoler, et ils se mettront à chérir et à vouloir protéger le moindre brin d'herbe." Je considère la question de l'écologie comme un sujet important, certes, mais cela ne va pas plus loin, pour moi, que d'essayer de trier mes déchets. Cependant, je connais certains militants écologiques pour qui l'écologie est devenue une forme de religion à part entière, comme s'ils se disaient, nous n'avons pas pu croire en Dieu, alors essayons de croire en la terre ? Mais cela me semble en même temps dérisoire et pitoyable...

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Message par etienne lorant Mar 23 Nov 2010 - 17:14

26 décembre 1967
"Lu dans le père Lallemant une page d'une concision remarquable qui résume selon moi toute vie spirituelles : "Il n'y a que Dieu qui ait droit de souveraineté sur les cœurs. L'Église même n'étend pas jusque-là son domaine. Ce qui s'y passe ne relève point d'elle. Dieu seul en est le Roi... C'est là qu'il établit le trône de sa grâce... Dieu s'applique plus au gouvernement surnaturel d'un cœur où il règne qu'au gouvernement naturel de tout l'Univers... Il n'y a que Dieu qui puisse contenter notre cœur. Notre cœur a un vide qui ne peut être rempli que de Dieu. Les délices de Dieu sont de converser avec les cœurs. C'est là son lieu de repos. Heureuse la vie intérieure qui fait vivre Dieu seul dans les cœurs."

Note perso: Puisse donc Dieu régner dans mon cœur de plus en plus. Car le vide qui est dans mon cœur est de plus en plus le vide, à mesure que toutes les autres relations sont chargées d'inquiétudes, de reproches, de peurs, de suspicions.

Il y a trois jours, quand j'ai décidé d'un seul coup, de trancher au vif dans les liens déjà très amoindris d'avec mes sœurs, c'est que j'avais entendu - six fois au cours de cet appel le mot de "colère": il n'est même plus nécessaire d'explications, de discussion, le mot de colère justifie tout. J'ai conclu aussitôt que c'en était fini des tentatives de rapprochement étalés sur plus d'une dizaine d'années. J'ai dit ce que j'avais à dire et cela fut dit en moins d'une minute. Mais j'ai prié une partie de la nuit qui a suivi je me suis arrêté de compter après trente dizaines de chapelet... je me suis finalement endormi.) Le lendemain matin, j'ai repris le travail comme à l'ordinaire et je me plaignais déjà de n'avoir pas reçu de réponse à ma prière lorsque j'ai ressenti, très fortement: "Désormais, il te faut mourir à toi-même".

J'ai eu la connaissance de ce que cela voulait dire: je dois me dépouiller de mes dernières affections que le monde dit 'légitimes': famille, conjoint, amitiés et jusqu'aux décors du passé... Désormais, il faudra aimer ce prochain à propos duquel Simone Weil déclarait avec une grande lucidité: "Pour aimer un étranger comme soi-même, cela présuppose de se considérer soi-même comme un étranger. Il faut la foi, la prière, la discipline - et Dieu viendra combler ce vide si pénible à endurer pour le moment.

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Message par etienne lorant Mer 24 Nov 2010 - 17:00

30 décembre 1967
"Si nous pouvions enregistrer ce que nous disons les uns aux autres, et qu'on nous fit entendre l'enregistrement un moment plus tard, des larmes nous couleraient sur les joues, des larmes de honte et de colère. Comment ! Moi qui me croyais si gentil, si patient, si courtois...

C'est sur cette "phrase du jour" que Julien Green conclut l'année 1967. Comment à ce moment-là prévoir les événements de '68'. Mais nous en sommes tous réduits au jour d'aujourd'hui. A chaque jour suffit sa peine. Je n'ai pas de tirade dans mon chapeau en cette fin novembre 2010 (peut-être demain, du fait de mon rendez-vous chez le dentiste? Ah, la molette du dentiste !) Je trouve seulement à dire que je ne suis pas un homme bon. Non, je ne suis pas fidèle non plus - en tout cas pas comme je le voudrais. Ai-je été attentif aujourd'hui ? Je dirais plutôt que je me suis repris de nombreuses fois. Je suis perturbé, c'est cela, oui. Perturbé, car je dois prendre patience, j'attends. J'ai cependant pris une résolution pour la semaine prochaine: j'ai les photos nécessaires pour renouveler mon passeport. Je me rendrai dans les bureaux ad hoc la semaine prochaine....Il faut toujours avoir un passeport en ordre, le monde est tellement stable !

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Message par etienne lorant Ven 3 Déc 2010 - 9:16

J'ai découvert le Journal de Julien Green en 2008, lors du décès de mon père. Comme je rentrais dans un temps de solitude qui se prolonge encore aujourd'hui, j'avais besoin de refonder mon travail de chaque jour sur une activité qui me permettrait de me maintenir dans la foi vécue. Or, Julien Green, au travers des notes de son Journal, s'est battu constamment contre les pulsions de 'la chair' comme dit saint Paul. Outre qu'il est passé du protestantisme à l'Église, c'est un homme qui a vécu le siècle (il est né en 1900 et décédé en 1998) et ses remarques sur la littérature, la peinture, la musique, mais aussi la vie de l'Église, les hommes et les femmes du XXième... font de ces courtes lectures comme des portes toujours ouvertes vers d'autres sujets à découvrir.

Je démarre avec le Journal des années 1966-1972 intitulé : Ce qui reste de jour. J'avoue que, pour me 'remettre à niveau' je commence par simplement recopier des citations et des remarques que j'ai déjà formulées ailleurs. Ensuite, si Dieu le veut... il n'y a pas de limite à la découverte, si ce n'est qu'à mon sens, tout cela doit intéresser le plus grand nombre, mais aussi m'entretenir dans le souci de la Vérité...

Alors, allons-y !

***

2 mai 1967
"A la campagne. Quittant la grande maison pour aller dormir dans la petite, j'ai été saisi d'admiration devant le ciel étoilé dans l'air glacial. Peu d'étoiles, mais si brillantes et si merveilleusement belles que j'ai pensé au langage au-delà du langage humain qui est celui du Ciel, langage sans paroles et dont rien ne peut donner une idée. Dans ma chambre, avant de me coucher, j'ai ouvert ma Bible et je suis tombé sur ces paroles: "Je suis la lumière du monde." Ce verset m'a toujours frappé par tout l'absolu qu'il renferme et le mystère dont il s'entoure. Quand j'étais enfant, ce mot de monde me faisait rêver à l'infini. Je voyais des centaines de royaumes baignés d'une lumière surnaturelle. Beaucoup de silence dans le verset où se retrouve le même langage que celui du Ciel, rapprochement qui m'a ravi. J'ai refermé le livre et je me suis endormi en paix. Et comme il arrive, car ces grâces ont leur prix, une journée inquiète a suivi, avec les tentations ordinaires."

Note personnelle: vivant en ville, j'ai rarement l'occasion de voir un ciel comme le décrit Julien Green. L'idéal est de s'écarter loin de tout éclairage urbain, en ce compris, bien sûr, les éclairages autoroutes et des routes, et donc de "s'égarer" soi-même à "Petaouchnokville" ou "Saint-Loinloin de Pas-Proche", bref un trou perdu où la main de l'homme n'a pas encore mis les pieds - et franchement, ce n'est pas si simple à trouver ! Mais pour le peu que j'en ai vu, oui, l'impression ressentie fut celle de la démesure. Il suffit que l'on passe une minute ou deux à contempler les étoiles la nuit, en rase campagne, et il se passe quelque chose dans la personne de l'observateur. Un peu comme si le "moi", d'un instant à l'autre, allait se laisser enlever, absorbé par cet infini.

Je me souviens aussi de l'exclamation d'un des astronautes de la première fusée lunaire. Il s'était exclamé : 'Difficile de dire qu'on ne croit pas en Dieu lorsqu'on regarde la Terre depuis l'espace, mais aussi l'espace depuis l'espace ! Toutes les perspectives et les proportions qui paraissent claires sur le papier sont dépassées par un simple regard". Un jour, j'ai éprouvé un sentiment similaire, bien que de moindre intensité, en contemplant longtemps un de ces "champs de blé sous le soleil" qu'a peints Vincent van Gogh. Ou bien j'ai perçu quelque chose du vertige qui l'habitait, ou bien encore: existerait-il, dans la nature comme dans l'art, une sorte de "dé-construction de logique" qui invite l'âme ? Mais c'est peut-être aussi le sentiment d'incapacité à tout saisir dans la création : le premier homme qui a utilisé un microscope, n'a-t-il pas connu une sorte de révélation devant 'tout ce qui grouille et qui vit' de l'autre côté de l'œilleton de son appareil ?

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Message par etienne lorant Ven 3 Déc 2010 - 9:17

16 mai 1967
"Dans la seconde Épître aux Corinthiens, chapitre 10, verset 10, saint Paul nous dit l'impression qu'il fait: "Présence faible, élocution méprisable". Il se sent beaucoup plus à l'aise et vraiment fort lorsqu'il écrit. Moïse bégayait, Jérémie aussi, c'est à ceux-là que Dieu a confié ses missions formidables".

Note personnelle : Moïse, en effet, avait de grandes difficultés d'élocution. Voir dans la Bible : Exode, chapitre 4 versets 10 à 17. En relisant ce passage, j'ai été frappé par l'étonnement même de de Dieu devant le "problème technique" soulevé par Moïse :
" Le Seigneur lui répondit: Qui a fait la bouche de l'homme? Qui a formé le muet et le sourd, celui qui voit et celui qui est aveugle? N'est-ce pas Moi?" J'en ai conclu que s'il avait eu assez de foi, Moïse se retrouvant devant Pharaon, eût soudain trouvé l'éloquence des plus grands... Quant à Jérémie, il se plaint : "Je ne sais point parler car je ne suis qu'un enfant" - le terme latin "infans" (précisé dans un renvoi de mon livre) désigne précisément celui qui ne parle pas. Dans le Livre de Jérémie, Dieu envoie un ange avec un tison pour lui toucher les lèvres et le Seigneur dit: "Voici que j'ai mis mes paroles dans ta bouche".

D'une certaine façon, le fait que Dieu ait envoyé, pour parler en Son nom des hommes qui avaient de telles difficultés, me confirme dans la pensée que "Tout est grâce". Car Jésus dira lui-même: "je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs" - et les premiers envoyés pour annoncer la bonne nouvelle du Royaume sont ceux que le Temple rejetait. Et, en définitive, ce que nous considérons en nous comme des talents, Dieu n'en a cure. Mais c'est presque le contraire : pour nous mettre au travail, Dieu va choisir nos imperfections et nos manques. L'homme qui n'écrirait jamais (j'en connais au moins un), le voici qu'il écrit sans avoir suivi de cours. A Nazareth, c'est le charpentier Jésus qui compte, lui qui connaît le meilleur usage du plus mauvais outil. Lorsque Dieu fait s'effondrer l'Empire romain, il n'a pas utilisé une massue, mais un grain de sable dans la machine à broyer. Bref, pour servir le Seigneur du mieux qu'on pourra, il suffit (c'est le plus dur, sans doute...) de s'abandonner. Combien de fois, jusqu'à ce jour, n'ai-je pas ressenti, après avoir fini d'écrire, lors de la relecture, cet étonnement étrange: "Est-ce possible, c'est moi qui ai écrit ces mots ? "
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Message par etienne lorant Ven 3 Déc 2010 - 15:22

19 Juin 1967 : La guerre des six jours en deux lignes !

Description de Julien Green : "La guerre israélo-arabe a prix fin hier après des discussions qui ont dû être pittoresques. Il y a eu un soulagement général. Dimanche dernier, les hostilités n'avaient pas encore commencé".

Note personnelle: J'ai vu un reportage dans lequel d'anciens officiers d'Hitler, ayant occupé le côté français du Rhin, avaient des ordres très clair - au moindre mouvement de l'armée française, pour intervenir, ils devaient se replier aussitôt. C'était du bluff, évidemment ! Mais le bluff souvent a eu du succès quand il s'oppose à des personnalités non déterminées. Mais les survivants des camps de la mort étaient extraordinairement déterminés. J'ai toujours applaudi les Israéliens pour avoir écrasé l'aviation arabe à peine cinq heures avant qu'elle décolle ! La guerre du Kippour fut beaucoup plus rude, mais Moshe Dayan fut pour le moins extraordinaire. Je crois que Dieu ne permettra plus que le peuple Juif, tant aimé, subisse un deuxième holocauste. L'Iran ? Même pas peur !

Wikipedia : l'attaque d'Israël

La plus grande force aérienne des armées arabes était en Égypte. Leurs avions étaient tous récents et de conception soviétique. Ils possédaient également 45 bombardiers moyens Tu-16 capables d'attaquer des cibles civiles ou militaires israéliennes. Toutefois, les infrastructures défensives égyptiennes étaient relativement faibles et ils ne disposaient pas non plus de bunkers pour protéger leur aviation en cas d'attaque.

Le lundi 5 juin 1967 à 7h45, survolant la Méditerranée à très basse altitude pour éviter les radars, l'aviation israélienne attaqua l'Égypte où la plupart des avions de chasse et leurs pilotes étaient comme à leur habitude au sol après leur première patrouille de la matinée comme les services secrets israéliens l'avaient observé. La totalité de l'aviation israélienne est conservée tandis que seuls 12 intercepteurs seulement sont gardés en réserve pour protéger l'espace aérien israélien. En 500 sorties, Israël détruisit 309 des 340 avions militaires égyptiens. Cela représentait un succès au-delà des espérances des stratèges israéliens, qui avaient élaboré ce plan depuis longtemps. Les pertes israéliennes furent de 19 appareils, pour des causes techniques principalement. Cela eut pour conséquence une supériorité aérienne totale de l'aviation israélienne durant tout le conflit, supériorité dont dépendit en grande partie la victoire écrasante d'Israël.

http://www.cieldegloire.com/batailles_israel_1967.php

Des avions français ? Mais non, vous vous trompez ! Quoique: on dirait bien des Mystère 20 et des Mirages III ? " Mais non, mon vieux, vous avez trop lu de Tanguy et Laverdure !
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Message par etienne lorant Sam 4 Déc 2010 - 14:10

29 Juin 1967
"A la TV, l'autre jour, un vieux monsieur, vétéran de 14-18, disait que si les soldats français se battaient si bien pendant la première guerre mondiale, c'est qu'ils étaient, pour la majeure partie, des paysans défendant leur terre; celle qu'ils avaient perdue, ils comptaient bien la retrouver. Le mot de patrie ne leur disait pas grand-chose. C'était la terre, le champ perdu qui comptaient. Patrie, c'était trop abstrait."

Est-ce qu'il existe quelque chose de comparable sur le plan spirituel ? Oui, dans la mesure où nous devons tous nous battre pour regagner notre patrie céleste. Tout au début, si quelqu'un m'avait parler de la nécessité de tendre à la sainteté, je lui aurais répondu: 'Malheureusement, ce n'est pas pour moi. Il me suffit que Jésus m'ait prêté attention...' La lutte est venue plus tard et j'ai eu l'impression, comme les paysans engagés dans la guerre de 14-18, que l'Adversaire cherchait à reprendre la terre que ma conversion semblait m'avoir assurée. Et donc, j'ai commencé à lutter. L'ennemi était tout à fait imprévisible, puisque c'était moi. Me battre contre moi fut une longue lutte - et d'ailleurs, çà continue. Mais j'attends l'Armistice, et vous savez bien ce que je veux dire par là !

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Message par etienne lorant Sam 4 Déc 2010 - 14:13

1er juillet 1967

"L'encyclique du Pape sur le célibat obligatoire fera, je le crains, de larges coupes claires dans les rangs du clergé".

Cette note d'une ligne dans le Journal vaut la peine d'être relevée, non pas seulement du fait de sa concision, ni de sa lucidité, mais aussi à cause de son exactitude. Julien Green consacrait beaucoup de temps à vérifier et vérifier encore chacune des notes. Et donc, si je tape "Encyclique juin 1967" (il faut bien admettre qu'elle a été écrite au cours du mois de juin - non le 1er juillet), eh bien j'obtiens directement ce que je cherche:

Sacerdotalis Caelibatus (24 juin 1967) - Vatican
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Message par etienne lorant Sam 4 Déc 2010 - 14:17

Note personnelle à propos du célibat des prêtres

"Louis Segond Bible (1910)
Car il y a des eunuques qui le sont dès le ventre de leur mère; il y en a qui le sont devenus par les hommes; et il y en a qui se sont rendus tels eux-mêmes, à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne.

Darby Bible (1859 / 1880)
car il y a de eunuques qui sont nés tels dès le ventre de leur mère; et il y a des eunuques qui ont été faits eunuques par les hommes; et il y a des eunuques qui se sont faits eux-mêmes eunuques pour le royaume des cieux. Que celui qui peut le recevoir, le reçoive.

Martin Bible (1744)
Car il y a des eunuques, qui sont ainsi nés du ventre de leur mère; et il y a des eunuques, qui ont été faits eunuques par les hommes; et il y a des eunuques qui se sont faits eux-mêmes eunuques pour le Royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre ceci, le comprenne.

J'ai pris les extraits que de différentes Bibles pour trouver une traduction que je trouverais plus convenable, mais toutes celles-ci disent que l'initiative revient à ceux qui se sont rendus 'eunuques' eux-mêmes. Je n'aime ni cette traduction ni les deux suivantes. D'une certaine manière, elles ne tiennent pas compte de l'évolution intérieure qui se produit chez les convertis - qui vivaient déjà le célibat au moment de leur conversion.

Sur le moment-même, à cause de l'éblouissement de la conversion, un éblouissement qui ne brûle pas les yeux mais le cœur, il est évident que celui ou celle qui en a bénéficié, se dira immédiatement "oui, oui, oui !", me voici libre d'aimer "à tous vents" car me voici détaché désormais, de façon heureuse, d'aimer de la façon dont le Christ m'a aimé ! Et donc, lors de la conversion, le célibat et la chasteté sont associés et considérées comme évidentes.
Mais la lutte vient ensuite. C'est une lutte, non une castration ! C'est un combat, non un rejet de la nature. Si le cas individuel est plus explicite, durant quatre ans après l'illumination bienheureuse, je n'ai jamais confondu le sentiment "neuf" des anciens sentiments et des anciennes émotions.

Cela ne m'a pas empêché de retomber une fois dans une relation "affective et sexuelle", car j'avais été tenté, comme Dieu le permet. Tenté durant trois ans, j'ai renoncé à mon choix premier, mais j'y suis revenu, et cette fois, je n'ai plus jamais confondu ni les sentiments, ni les émotions, ni les attitudes. J'ai été libre deux fois plus qu'avant. En réalité, bien sûr, on ne devient pas un "eunuque par déformation psychique" et les images sensuelles diffusées tardivement sur l'écran de télé provoquent des réactions tout à fait naturelles, physiologiques. Mais même, ainsi, une part de l'être lutte et résiste - car la grâce a éveillé la volonté.

Je ne doute donc pas de validité spirituelle du célibat des prêtres. Ce qui est regrettable, infiniment, c'est que la société humaine, du monde, est quasi unanime à vouloir "éradiquer" la chasteté comme une chose immorale, contraire à la nature, voire dangereuse. Plus désolante encore, la manière dont les chrétiens vivent chacun de leur côté, ne se réunissent pas de façon conviviale - et pas forcément pour prier le Rosaire. Les réunions "informelles" entre prêtres sont rares, je le sais. Bref, la solitude est le quotidien. La famille ? Quelle famille n'est pas divisée, décomposée puis recomposée ? Dans la pratique, aucun appui, aucun soutien - si: la prières, quelques échanges sur internet, mais surtout: c'est le fait d'aller assister ceux et celles qui en ont besoin, c'est la prière quotidienne et le travail quotidien, et la pratique des sacrements, qui entretiennent ce feu divin qui élève tout l'être, et n'a de cesse de l'élever encore.

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Message par etienne lorant Lun 6 Déc 2010 - 15:45

20 juillet 1967
"Beaucoup lu la Bible pour essayer de renflouer l'épave spirituelle: il y a eu jadis un naufrage et des débris du beau bâtiment flottent à la surface des eaux, mais peut-être les débris sont-ils plus au goût de la Providence que le navire construit, gréé et lancé par l'orgueil ?"

Note personnelle
L'épave spirituelle, c'est bien sûr de lui-même que parle Julien Green. Mais ce naufrage, que fût-il ? Dans les textes plus anciens, Julien Green rapporte qu'entre vingt et vingt cinq ans, il fut tout prêt d'entrer dans un monastère, mais que ses penchants avaient finalement tout fait échouer. C'est à partir de ce moment qu'il décida de lutter, de poursuivre sa carrière littéraire tout en se rappelant parfois que : "L'on n'a jamais connu de romancier déclaré saint". En publiant ses notes, il s'exposait ainsi lui-même, comme catholique, au jugement de ses lecteurs. Dès lors, comme il dit que certains navires sont construits, gréés et lancés par l'orgueil, j'ai une opinion favorable car je sais très bien qu'il a raison. Mieux vaut une longue lutte contre les éléments d'une mer déchaînée et sur une "coque de noix" que la brève et désastreuse ruine d'un Titanic spirituel !

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Message par etienne lorant Lun 6 Déc 2010 - 15:48

8 juillet 1967

La providence des inconnus.
"Jusqu'ici, d'une façon générale, je n'aurai pas eu à me plaindre du genre humain. Quand j'ai eu des difficultés, il s'est toujours trouvé quelqu'un près de moi. Des hommes et des femmes sont venus, pareils souvent à des messagers, pour me parler avec douceur et me conseiller avec sagesse. Cela a toujours frappé ceux qui ont un peu connu les circonstances de ma vie".

Note personnelle: Ce que Julien Green écrit ici, chacun d'entre nous le peut aussi. La Providence envoie toujours quelqu'un devant nous. Et la plupart du temps, ce quelqu'un, cet individu inconnu ne saura pas - du moins avant le jour du Seigneur, comment il aura servi Dieu en servant un inconnu. Dans ma vie, je peux dire qu'un jour, je me suis retrouvé devant un Lieutenant-Colonnel qui m'a longuement interrogé sur "huits façons de mourir en guerre" qui sont décrites dans 'Monte Cassino', un des romans de Sven Hassel.

Etais-je un militant communiste, infiltré dans l'armée pour démoraliser la troupe ? Un ordre de punition en 'bataillon de marche' avait déjà été rédigé contre moi, et n'attendait plus, pour être exécutable, que la signature de ce 'Breveté d'État-Major. Or, cet homme, ce colonel, m'a dit: "Je ne peux pas vous envoyer là-bas, votre corps n'y résisterait pas, vous seriez déserteur au bout de deux jours; de toute manière, un vrai communiste n'eût pas agi en signant son texte. Alors parlez-moi sans détour." Ce que je fis. Et à partir de ce jour, je fus affecté uniquement au bureau de ce Colonel et je fus tranquille jusqu'à la fin de mon service obligatoire. Le dernier jour de mon temps d'armée, le Lt-Col m'a dit: ce qu'a écrit Sven Hassel est tout à fait exact, les infirmiers ont ordre de ne pas s'attarder auprès des blessés mourants, mais de courir et d'emporter uniquement ceux qui ont une chance d'être sauvés.

Des inconnus comme cet officier, j'en ai croisé plusieurs, en diverses circonstances. Ils m'ont apporté énormément mais n'en savent rien - mais un jour, cela leur sera rendu, j'en suis certain, car : "de la manière dont vous aurez mesuré, il vous sera mesuré."
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Message par etienne lorant Lun 6 Déc 2010 - 15:49

8 juillet 1967
A propos d'un roman d'Edith Warton:
"Je voudrais dire un mot du roman d'Edith Warton. L'intrigue en est absurde : un Américain de New York, vers 1870, épouse une femme qu'il n'aime pas. Il est épris d'une autre femme qui, elle, l'adore. L'homme lutte contre cette passion qu'il finit par vaincre, sans que jamais la femme et lui aient été amants. Il faut dire qu'elle a pris part à cette lutte. Et à quoi doivent-ils cette victoire ? A leur religion ? Question inepte. Ils la doivent tous les deux au fait qu'ils sont Américains et qu'il y a certaines choses que les Américains ne font pas - ou plutôt que les Américains de New York ne font pas. La morale est sauve, la société de New-York n'aura pas à souffrir de ce gros scandale : l'adultère, péché européen !"

Note personnelle : c'est moins anecdotique qu'il m'a semblé à première vue. Je me dis en effet que du point de vue du bon Dieu, mieux vaut encore avoir péché et se repentir durement que d'élever sa vertu en statue de marbre. Il existe des situations familiales qui sont sources de tels conflits que les membres de la famille finissent par renoncer: on ne se fréquentera plus, voilà tout. Mais çà ne fonctionne pas ainsi, et le silence est pire encore. Mieux vaut de grandes et longues disputes (comme celle qui oppose Elizabeth Taylor et Richard Burton dans 'Qui a peur de Virginia Woolf). Dans une dispute, on peut se lancer des mot terrifiants, mais çà ne compte pas - tandis qu'un silence qui s'installe et dure des années, cela je l'ai vécu et je le vis encore. C'est un supplice affreux, car on n'en voit jamais la fin: cette réconciliation, pleine et entière, qui effacerait toutes les "étapes de montagne", comme elle se fait attendre et comme on a la sensation de la porter à bout de bras, ou comme une épine au front !
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Message par etienne lorant Lun 6 Déc 2010 - 15:53

10 novembre 1967 Pouvoir bénéficier des derniers sacrements:
Ce jeune prêtre m'a raconté la choses suivante qui est curieuse et que je trouve belle. Il a été récemment appelé au chevet d'une mourante, mais quand il arrive, on lui dit qu'il est trop tard, qu'elle est dans le coma. C'est d'une vieille femme qu'il s'agit. Le prêtre, seul avec elle se demande ce qu'il doit faire, car, plongée dans une profonde inconscience, elle n'entend, ni ne voit, ni ne comprend rien. Il lui donne cependant l'extrême-onction, et d'abord l'absolution avec indulgence plénière, puis il prie pour elle et enfin il lui parle, il lui parle longuement, mais n'est-ce pas à une morte qu'il parle ? Il continue néanmoins, réconforte cette femme dont l'immobilité devrait le décourager.Au bout d'une heure, il se lève pour partir. A ce moment, la mourante ouvre les yeux et dit: "Merci". Quelques minutes plus tard, elle a cessé de respirer.

Note personnelle
Mon père est décédé en gérontologie, un couloir d'hôpital dans lequel il y avait chaque jours des morts. Toute la famille et moi nous sommes dit: "s'il avait eu une pathologie quelconque, on aurait pu le placer en soins palliatif, du moins il eût bénéficié d'une chambre particulière et de soins quotidiens moins "minutés" ! Mais il était prêt, il luttait même contre ce médecin qui voulait absolument le "rattraper": chaque jour, il arrachait les sondes plantées dans ses bras, celle qu'on lui avait enfoncée dans une narine, raison pour laquelle on lui avait immobilisé les bras avec de vulgaires essuie-mains. Comme il luttait encore, le médecin responsable avait fini par inclure des psychotropes dans les sondes - et il était devenu comme une plante. C'est, un matin, en le voyant ainsi, que j'ai décidé de l'aider à s'évader de la vie. J'ai moi-même défait les nœuds des essuie-mains, j'ai attendu qu'il se réveille et il a aussitôt retiré lui-même toutes les sondes. Alerté, le médecin m'a pris à parti, mais c'est moi qui l'ai menacé finalement. De toute manière, je lui ai suggéré: laissez-lui dire ce qu'il veut, d'accord ? Dialogue : "Papa, tu m'entends bien ?" "faible voix : "Oui" "Le médecin est la, dis-lui ce que tu veux." Réponse : "Je veux faire tout mon possible mais je veux manger seul"... C'est la dernière phrase la plus longue qu'il ait dite. Le lendemain, il a dit à ma mère : "Je suis heureux". Le troisième jour, il attrapait un staphylocoque doré. Le lendemain, on nous a annoncé qu'il avait expiré entre son lit et la table du petit déjeuner. Oui, il s'est vraiment évadé !

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Message par etienne lorant Mar 7 Déc 2010 - 15:28

12 novembre 1967

Après une histoire qui parle du 'grand passage' sur lequel les sacrements, mais aussi les prières ont grand pouvoir, Julien Green rapporte, le lendemain, un petit mot d'enfant que j'ai trouvé assez extraordinaire: 'A la campagne. Bruno, qui a cinq ans, et que nous voyons quelquefois, car ses parents habitent en face de notre maison, demandait à quelqu'un l'autre jour : "Où étais-je avant de vivre avec papa et maman ?" Cette question aurait plu à saint Augustin.l

Note personnelle: Oh, il faut la placer aussi dans la phrase du jour, c'est vraiment bon !
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