La miséricorde et la joie «Heureux les miséricordieux, car i

Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 6,36-38.
Jésus disait à la foule : " Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et vous recevrez : une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans votre tablier ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous. »

Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris

Comme il est doux cet Évangile du premier jour de printemps ! Il me l'est d'autant plus quand je songe à l'engagement auquel j'ai été appelé et qui m'a permis de devenir (finalement !) membre d'un mouvement religieux reconnu, celui des "Apôtres de la miséricorde divine". La théologie de la miséricorde repose sur la considération des principaux attributs de Dieu: l'amour, la sainteté, la justice; elle affirme que l'amour miséricordieux est le principal attribut de Dieu. Toute la formation que j'ai suivie repose sur cette prévalence et sur l'étude approfondie des révélations de Jésus à sœur Faustine, canonisée en l'an 2000.

Dans le passage d'aujourd'hui, Jésus ne présente pas seulement la démarche de la miséricorde que doit suivre le croyant, mais il y ajoute ce que la miséricorde apporte à celui qui la pratiquera : c'est une mesure bien pleine, tassée, secouée et débordante... Mais qu'entend-il par là ? Moi, je peux répondre et je réponds que c'est la Joie, cette joie qui a présidé à ma conversion. Dont j'ai dit, à l'époque, qu'elle était "comme une onde d'énergie pure", car je ne trouvais pas d'autres mots pour la décrire. C'est cette même Joie, éprouvée au moment de ma conversion et qui a perduré durant trois années, qui m'avait fait prier le Christ de me laisser "mourir bien vite" afin de le rejoindre plus tôt ! Mais j'ai finalement réalisé que je devrais servir (ou sévir ! diront certains) encore un peu de temps sur la terre.

Que le printemps vous soit doux. Oui, le monde est en plein bouleversement. Non, le Seigneur ne nous a pas abandonnés !

Je ne puis m'empêcher de juxtaposer ce verset de l'épître de Jacques :

Jc 2, 13 Car le jugement est sans miséricorde pour qui n’a pas fait miséricorde ; mais la miséricorde se rit du jugement.

CINQUIÈME BÉATITUDE


«Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde !»




JUSTICE HUMAINE ET JUSTICE SELON DIEU

L'effort divin vers la justice étant accompli, il reste à l'âme, pour ainsi dire, un effort encore plus divin à accomplir : vers la miséricorde .

La justice se limite, en un certain sens, au domaine de l'humain ; mais la miséricorde déborde un domaine si étroit : l'âme qui a faim et soif de justice va au-delà des limites de la raison pour devenir juste à la manière de Dieu. Il est possible à l'intelligence humaine de se faire une idée de la justice ; mais la miséricorde est quelque chose de céleste, de divin. La miséricorde recherche les tribulations, les aime, les fait siennes, les garde dans le coeur ; non seulement les tribulations de ceux que l'on aime, mais même de ceux qui nous haïssent ; non seulement celles qui nous paraissent normales, mais même les plus profondément inexplicables, les plus intolérables et qui nous font sursauter de répugnance.

Cette miséricorde, les païens ne purent la deviner ni les humains l'inventer. Elle nous vint par Jésus du sein du Père.

Il est naturel de faire nôtres les misères de ceux que nous aimons ; mais il est divin d'aimer tout prochain, même nos ennemis. Il est naturel de compatir à certaines choses : la faiblesse de l'enfant, la fragilité de la jeune fille, les fines lames de la douleur sublime ; mais nous pencher sur les misères plus massives, embrasser avec amour d'horribles plaies, étreindre avec tendresse les âmes qui gisent dans la fange répugnante de toutes les abjections humaines, voilà ce qui n'est pas spontané pour le coeur égoïste de l'homme.


MISÉRICORDIEUX COMME LE PÈRE CÉLESTE

Par contre, cela est spontané pour le coeur de Dieu. Celui-là seul qui est surabondamment riche peut donner sans demander ; celui-là seul dont le bonheur ne connaît pas de limite peut trouver de la joie à rendre heureux les misérables ; celui-là seul dont le coeur déborde de toutes les perfections, peut descendre jusque dans l'abîme de toutes les misères pour les combler de sa débordante plénitude.

Dieu est miséricordieux parce qu'Il est infini ; nous sommes égoïstes parce que nous sommes limités. Pour être miséricordieux, il faut, d'une certaine façon, être divin. Un sceau divin marque la miséricorde, qui est une imitation de Dieu. Voilà pourquoi Jésus-Christ a dit :

«Montrez-vous miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux» LUC 6,36

Et en parlant de justice, Il ajouta :

«Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez certainement pas dans le Royaume des Cieux» MATTHIEU 5,20[


AU-DELÀ DE TOUTE JUSTICE

Il y a une justice humaine et une justice divine; il n'y a qu'une seule miséricorde : la divine qui, par imitation, se reflète dans les hommes.

L'âme qui monte les échelons des Béatitudes porte en elle quelque chose de divin qui émane des Dons. A toutes les étapes de son ascension, elle a brisé les moules étroits de son humanité.

Du dernier échelon, elle s'est lancée à l'action avec l'ardeur sans frein qui lui vient de ses aspirations et, avide de justice, elle a passé les bornes de l'humain, elle a accompli une oeuvre qui n'est pas la terre

Mais elle n'est pas encore satisfaite ; pour s'unir à Dieu, elle doit se rendre encore plus divine et voici que, devant ses yeux, s'ouvrent les horizons divins de la miséricorde où la vie d'action atteindra sa consommation.

De nouveau, l'âme verra s'étendre devant elle le champs des misères humaines, immense et désolé, car une lumière plus brillante encore que celle du Don de science va inonder cette lande et en révéler toute la tristesse.

Mais l'âme ne se sent plus profondément déçue comme précédemment sur la montagne des larmes ; maintenant, elle regarde les misères de la vie comme Dieu les regarde, pour les comprendre, les épouser, les soulager.. Et une immense compassion la torture, comme la compassion qui a torturé le divin coeur, car elle fait siennes les misères de tous ceux qui souffrent et elle verse des larmes avec ceux qui pleurent. C'est une douleur nouvelle, profonde et pénétrante qui imprègne tout son être, mais qui ne l'accable pas, car les eaux de cet océan de misères ne peuvent éteindre le feu de la charité qui la consume. Mieux, cet amour s'intensifie. Divin, il commence à se répandre, comme la Charité Infinie, pour combler de son abondance ce qui est vide, arroser de ses larmes ce qui est sec, oindre de ses consolations les plaies béantes, et réchauffer de son ardeur tout ce qui est froid


AVEC LES DONS DE CONSEIL ET DE FORCE

La lumière qui rend l'âme miséricordieuse est celle du Don de conseil, plus vive parce que venant de plus haut, tout près de ses sources les pus pures. Par elle, l'âme envisage les misères comme Dieu les envisage. Qu'y a t-il d'étrange, alors, que l'âme veuille faire ce que Dieu fait et se mette à pratiquer la divine miséricorde ?

Entreprise ardue pour l'âme, si ardue que Jésus, pour l'avoir tentée, souffrit une sueur de sang à Gethsémani et mourut sur le calvaire. Mais n'est-ce pas le difficile et l'héroïque que l'âme cherche, de toute l'ardeur incontrôlable de son amour et de son désir ? Pour ce labeur gigantesque, l'âme est douée de la force divine attachée à la quatrième Béatitude par le Don de force Elle éprouve en cette nouvelle étape de sa générosité l'irradiation divine du Don de Conseil, qui est un guide sur dans les choses difficiles et une lumière céleste qui éclaire les sentiers les plus abrupts.


LE TRÉSOR INFINI DE LA MISÉRICORDE

Avec cette lumière et cette force, ajoutées aux richesses de l'amour, -et à son cortège de vertus- qui va s'accroissant dans l'âme, celle-ci se lancera dans le monde des misères humaines, comme Jésus l'a fait quand il est passé sur la terre. Elle descendra dans tous les abîmes sans jamais se souiller, comme la lumière touche à toutes les fanges sans se salir. Elle se fera toute à tous, car elle portera en elle le fardeau de tous et elle reprendra sur tous avec une divine munificence le trésor des consolations qu'elle a reçues d'une Miséricorde plus élevée. Mais donnant ainsi sans mesure, elle voit ses richesses, non pas diminuer ni demeurer intactes, mais s'accroître prodigieusement.


UN TORRENT

Il est facile de comprendre combien l'âme s'enrichit à cette difficile et généreuse pratique de la miséricorde, car, comme la petite pierre qui sort nettoyée et polie par les innombrables frottements et les chocs subis dans le torrent qui la roule avec fureur, l'âme agitée par le torrent de l'amour miséricordieux se polit aussi au contact de toutes les misères humaines et quitte, en sa marche rapide et courageuse, tout ce qui demeurait en elle de terrestre, de bas, de dissonant, pour se retrouver à la fin plus purifiée, plus resplendissante.


UNE FLAMME

Ses forces se sont multipliées à la tâche. Chaque jour, la fatigue paraît plus suave à l'âme et plus douce la douleur. Elle sent en elle de plus en plus la force de Dieu même et elle se fie de plus en plus entièrement à sa bonté inépuisable. Sure de la puissance qui la soutient, elle pénètre plus avant dans les misères d'autrui, et, pour secourir les affligés, elle trouve en sa charité des moyens de plus en plus ingénieux et féconds, à l'unisson du Coeur miséricordieux de Jésus.

En se manifestant, sa charité augmente, comme le feu qui s'active à brûler. Les flammes d'un grand incendie, poussées par un vent violent, s'élancent sur tout combustible, s'étendent rapidement dans leur besoin de s'intensifier, puis s'élèvent très haut dans le ciel. Ainsi en est-il de l'âme touchée par le feu de l'amour miséricordieux . Quand souffle sur elle le vent de l'Esprit, elle s'enflamme, s'élance en tous sens d'une force irrésistible et embrasse toutes les misères d'autrui. Puis elle s'étend en s'embrasant d'avantage : et, plus elle peine pour le prochain, plus haut vers le ciel s'élèvent les flammes de son amour.


... ILS OBTIENDRONT MISÉRICORDE

Pour soulager les misères du prochain, l'âme s'oublie elle-même, mais Dieu la voit. Il y a un Coeur qui a pitié d'elle comme elle a pitié de ses frères, le Coeur de celui qui s'est exprimé ainsi :

«En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait» MATTHIEU 26,40[

«Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde» MATTHIEU 5,7

Et quelle miséricorde ! L'âme qui se voue à secourir le prochain dans sa misère a aussi la sienne propre, bruyante et profonde : la torture de l'amour insatisfait. Si la misère est un vide , il n'y en a pas de plus profond que celui de cette âme ; si c'est un désir , personne n'en ressent en ses entrailles de plus brûlant ; si c'est un tourment , celui qui la torture n'a pas de nom dans le langage humain. Que sont les tribulations ordinaires de la vie en comparaison de celle-ci qui est si étrange ? En est-il une autre comme celle-ci qui ait pris racine dans les profondeur de cette âme ? Tous les biens de la terre ne sauraient la satisfaire.

Car l'âme a eu l'audace de poser les yeux sur le Bien Infini ; et maintenant, qui le lui donnera ? Dans l'extase de l'amour, elle a remis son coeur au Bien-Aimé, qui habite une lumière inaccessible I TIM. 2,16)
. Qui introduira l'âme en ces hauteurs sans limites ? Un tel amour ne peut ni s'acheter, ni se mériter, ni se conquérir. L'âme ne peut le recevoir que des mains de la Miséricorde Infinie.

En son incompréhensible misère d'amour, l'âme éclairée par le Don de Conseil a compris que seule la miséricorde humaine peut attirer celle de Dieu et que, pour clamer son amour vers elle, il faut être comme elle et apprendre son langage. Ainsi, grâce à sa véritable compassion et à ses oeuvres fécondes en faveur des misérables, l'âme a fait appel à cet Amour qui, pour se donner au créatures, a besoin d'être miséricordieux.

Et la Miséricorde est venue , car elle ne peut rester sourde à ses propres clameurs, et c'est alors qu'a résonné dans l'âme, la voix qu'il est impossible de jamais confondre avec aucune autre voix ; la voix de l'amour, et cette voix a prononcé une parole profonde qui semble de valeur infinie : Viens !


DÉJÀ L'HIVER EST PASSÉ
(Voir le Fichier : CANTIQUE_DES_CANTIQUES_2_Méditations.pdf )

Et l'âme a senti que de très douces mains la prenaient avec la délicatesse d'une mère qui soulève tout son petit enfant, et il a paru à l'âme que ces mains la portaient très haut au-dessus de la montagne de la justice et du sommet de la miséricorde, au-dessus de la région d'une vie qui se déroule au milieu des misères humaines. Elle s'est même sentie posée avec grande délicatesse dans l'infractuosité d'un rocher élevé, où les grands aigles qui regardent en face le soleil bâtissent leur nid.

L'hiver est passé , âme heureuse ! La pluie tombe encore, mais loin là-bas, tout en bas. Une vie nouvelle, la vie de la contemplation, t'ouvre ses immenses horizons. Entre. L'entrée te paraît étroite ? Si tu savais où elle conduit ! La région mystérieuse te paraît obscure ? C'est que la nouvelle lumière, si vive, si intense, éblouit tes yeux imparfaits.

Petit à petit, tes yeux vont s'y faire, car elle-même corrigera leur vision et les fortifiera. Et quand ils auront oublié leur ancienne manière de voir, quand ils se seront ouverts sereins et perçants à la nouvelle lumière, alors tu contempleras en extase ce que depuis longtemps tu désirais si ardemment contempler ; le Bien-Aimé, qui au ciel se nomme Amour et qui pour te faire voir son auguste et si attirant visage veut s'appeler ici-bas Miséricorde

De très beaux textes !